Stakhanoviste tranquille, Howe Gelb partage son temps entre l'Arizona, le Danemark, le Canada et l'Espagne (on y reviendra). Dernier des Mohicans dont le compteur est resté bloqué en 1972, notre homme voue une admiration sans bornes à Neil Young, Thelonious Monk, Pj Harvey et Clint Eastwood. Comme eux, il déçoit rarement. Et s'il est assez rare de croiser des artistes parvenant à ce point à se renouveler en faisant peu ou prou toujours la même chose, on ne connaît pas d'exemple aussi probant de musicien se bonifiant avec le temps. Son oeuvre, telle une bonne bouteille, révèle mille nuances et ne lasse jamais. Qu'il se frotte au jazz pianistique, au rock laid-back, au gospel ou au flamenco, le multi-instrumentiste instinctif ne perd jamais le contrôle de la situation. Aucun des nombreux musiciens qui l'ont accompagné n'a jamais pris le dessus sur son art à lui.

Pour faire simple, disons que sa carrière se découpe en deux chapitres distincts : les albums de Giant Sand d'un côté et ses disques en solitaire de l'autre. Le somptueux coffret Little Sand Box traite de la seconde partie, rassemblant huit de ses enregistrements les plus significatifs, parus entre 1991 et 2011. Soit vingt ans de bons et loyaux services rendus à la cause musicale, où le génie du désert n'a eu de cesse de revisiter son propre répertoire selon son humeur du jour. On ne compte plus les différentes versions de Temptation Of Egg, 4 Door Maverick, Saint Conformity, Dirty From The Rain, Chore Of Enchantment ou Cowboy Boots. Premier volet du coffret, Dreaded Brown Recluse (1991) est également le moins passionnant de tous, bien qu'enregistré avec la section rythmique qui allait l'abandonner au pire moment de son existence pour former Calexico et vulgariser son travail.

Non pas que les chansons ne soient pas à la hauteur, mais ce son chaud et relâché que l'on aime tant n'est pas encore au rendez-vous. Les guitares sonnent alors trop cristallines et les claviers trop synthétiques. L'influence de Neil Young sur ce premier LP (comme sur les quatre premiers de Giant Sand) n'est pas encore bien digérée. Ce qui n'est plus le cas sur Hisser (1998), le chef-d'oeuvre d'Howe Gelb réalisé à demeure (Tucson) alors qu'il est au plus mal. Manifeste lo-fi enregistré à l'aide d'instruments antédiluviens (le piano date de 1888, l'orgue de 1920 et la guitare à cordes nylon de 1900), Hisser est une oeuvre introspective et plombée que les compagnies de Grandaddy (This Purple Child) ou de la paire Burns & Convertino sur un autre (Like A Store Front Display) viennent égayer.

Comme le bouleversant Chore Of Enchantment (1999) de Giant Sand, Hisser est un éloge à l'ami Rainer mourant sans qui Gelb n'aurait probablement pas fait autant de chemin. Capturées de nuit (d'où le côté assoupi) sur un 4-pistes à cassette ou un walkman de poche, ces dix-neuf chansons (augmentées de quatre inédits sans grand intérêt) contiennent tout ce que le géant au sang mêlé n'aura de cesse d'approfondir par la suite. À commencer par Confluence (2001), qui reprend la formule de son prédécesseur sur la route entre Paris, Tucson, Bristol et New York. Les photographies de l'époque le montre affalé sur un canapé, Gretsch vintage à la main - son jeu entrecoupé de silences et de ruptures de tonalités nait là - ou bricolant ses boucles sur un minuscule Casio. Éparpillé, ce disque volage demeure un passionnant carnet de voyage en compagnie de Grandaddy, Candie Prune ou John Parish. Un must ! Suivant son épouse sur sa terre natale du Danemark, c'est un Howe Gelb bien entouré que l'on retrouve en studio en 2003 sur The Listener. D'une qualité sonore digne de Giant Sand (des membres de la nouvelle formule y participent), ce disque-fleuve s'oriente vers de nouveaux territoires musicaux comme le jazz ou le tango. Magnifiques de cohérence et virtuoses dans leur exécution, les quinze compositions de The Listener sont le fruit de sessions décontractées qui, en leur temps et par chez nous, inspirèrent notamment Bertrand Belin et Herman Dune.

Howe Gelb n'aime rien tant que la compagnie et s'expatrie ensuite au Canada pour retrouver une chorale gospel le temps de deux grands LP chaleureux : 'Sno Angel Like You (2006) et le live 'Sno Angel Winging It (2009). Mêlant classiques revisités, compositions originales et supplément d'âme, ces deux opus montrent quel grand meneur de troupe peut être le gars Howe. Rarement musicien américain aura exploré ses racines avec autant de verve et d'allant. S'il ne s'embarrasse pas des clichés religieux inhérents au genre, ce groupe taillé pour la scène demeure le plus joyeux de sa carrière et emporte l'affaire par un biais détourné. On y croit vraiment ! Habitué aux grosses chaleurs, c'est au sud de l'Espagne que l'auteur de 4 Door Maverick pose ses valises en 2010, le temps d'un disque hanté par le flamenco. Plus exotique que son prédécesseur, Alegrías est également le moins accessible de tous, le peu de morceaux où les guitaristes locaux (locos ?) la mettent en veilleuse étant finalement les plus intéressants. Touchant là les limites de la mixité, c'est un Howe Gelb bien plus introspectif qui clôt ce coffret en beauté, sans micro et seul face à son piano. Recueil de titres enregistrés durant vingt ans, Some Piano est une ode au grand Thelonious Monk, dont la liberté stylistique imprègne chaque note des quatorze instrumentaux présents, tour à tour méditatifs ou enjoués. Howe Gelb confesse souvent une faible capacité de concentration, son esprit sautant d'une idée à une autre avant qu'il ait fini sa phrase. Ce coffret en est la parfaite illustration, témoin d'un désordre ô combien génial. (Renaud Paulik dans Magic!)

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