Une autre vision de l'Est
le 16/09/2015 à 16h30 - PointCulture Liège
Cet évènement est terminé !
En prévision de la première à Liège du film « Après ne nous restera que la terre brûlée » le 21 septembre au cinéma « le Parc ».
Durant 4 ans, Delphine Fédoroff parcourt la région de la Polissie en Ukraine, au sein de laquelle se trouve la zone interdite implantée autour de la centrale atomique de Tchernobyl. Il s’agira de construire un film avec les habitants d’un village, Dytiatky, qui parlerait avec eux de leur vécu et des réalités subjectives face à une catastrophe écologique, économique, politique et humaine.
Un des problèmes d’un pouvoir colonial est peut-être celui de la négation de l’individu dans la complexité de ses croyances et de ses appartenances.
Ces villages présentent de nombreux témoignages concernant des sensations d'occupations illégales, ou encore, des sentiments de trahisons par le pouvoir en place. Le danger actuel en Ukraine serait peut-être d’être à nouveau pris dans cet ”inconscient collectif” qui peut rapidement amener la rancœur ou la fierté d’un peuple à descendre dans la rue, à occuper une place, mais malheureusement, à être très rapidement pris dans la récupération et l’exploitation par d'autres pouvoirs.
"La manière dont chaque habitant aborde le déplacement, ou la radiation et le danger des terres, se rejoint sur un point commun ; l’incompréhension et la colère de cette zone de 30km, qui à leurs yeux ne signifie rien. Pour beaucoup, l’intérieur est souvent moins dangereux que l’extérieur. Certaines personnes évacuées de l’intérieur de la zone, et relogées dans les villages reconstruits plus loin, sont revenues dans celui-ci, car ici il y a les bois, les champs, la qualité de la terre, et une reconnaissance entre les membres du village. Pour beaucoup, le déplacement était aussi une confrontation au rejet des « pairs », une impossibilité de pratiquer la vie telle qu’elle avait toujours existé.
Ainsi, les chants, les cultes païens, les danses traditionnelles propres à cette région ne pouvaient plus se reconstruire et s’exprimer. Le rapprochement aux villes, la taille parfois démesurée des villages reconstruits, les pratiques plus « modernes » de soin ou de culte, ne permettaient pas à certaines grands-mères de s’y retrouver et d’être acceptées.
Dytiakty signifie « les petits enfants », et le rapport au feu et à la catastrophe semble faire partie de l’histoire de ce village. Au siècle dernier, alors que l’ensemble des parents se rendit aux champs, les enfants étaient restés seuls au village lorsqu’éclata un terrible incendie qui ravagea le lieu et les enfants, ne laissant qu’un seul survivant ; un nourrisson… Lorsque j’en parle avec eux, ils me disent que c’était déjà un signe de persistance et de renaissance. Les croyances et légendes, les chants et les histoires autour de la table occupent une place considérable en ces lieux. Bien que cela soit d’emblée courant en Ukraine, il semblerait que la région de la Polissie, là où se trouve Tchernobyl entre autres, soit une véritable mine d’or de pratique orale, mais également « le berceau de la culture slave ». Les minorités ayant résidé sous forme de villages ou de « communautés des bois », auraient gardé dans leurs pratiques des chants, des danses, des rites funéraires, la mémoire des siècles passés.
L’implantation de la centrale atomique et la construction de la ville ouvrière de Prypiat n’auraient au final que peu perturbé ces modes de vie.
L’explosion de la centrale et l’évacuation qui s’ensuit, elles, ont par contre considérablement menacé ces traces de mémoire. Bien que la catastrophe de Tchernobyl fût souvent évoquée de manière écologique ou économique, bien rares sont les échos sur l’organisation humaine en des lieux spécifiques. L’évacuation de ces terres pour ces habitants semble dès lors irréalisable ; il ne suffit pas de reconstruire ailleurs, ni de tenter un semblant de rassemblement des villages. On ne déporte pas une âme, et encore moins des corps sans celle-ci."
Où et quand
- le 16/09/2015 à 16h30 - PointCulture Liège