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De Krook : une bibliothèque lovée dans un méandre

Gand - bibliothèque De Krook - vue générale
Inaugurée en mars 2017, la nouvelle bibliothèque De Krook parait réussir avec brio son pari d'offrir un lieu de rassemblement aux Gantois, quelque part entre la soif de connaissance, la fascination des nouvelles technologies et le simple plaisir de la lecture.

Sommaire

Il y a treize mois, le 26 janvier 2017, un millier de Gantois – environ 800 enfants des écoles et 200 adultes – formaient une chaine humaine pour se passer de main en main les 1.000 premiers des 200.000 livres à déménager de l’ancienne bibliothèque de la Wilson Woodrowplein à la toute nouvelle bibliothèque de la Miriam Makebaplein, quelques 200m plus loin, juste de l’autre côté de l’Escaut. Un mois et demi plus tard, le 10 mars, la bibliothèque De Krook, appelée à devenir « un projet à grande échelle de rénovation urbaine associant connaissance, culture et entreprenariat innovant et proposant un espace de rencontre pour tous les Gantois » ouvrait ses portes.

D’anciennes tanneries, une usine à gaz, du charbon wallon et un Nouveau cirque

Historiquement, « De Krook » a d’abord désigné une boucle serrée, un méandre particulièrement difficile à négocier pour les bateliers, sur le cours du Nederschelde (la partie urbaine de l’Escaut, traversant le centre de Gand) ainsi que le quartier qui s’y est installé. De par sa position stratégique le long d’une voie reliant le Sint-Pietersdorp sur le Blandijnberg et le Portus Ganda au centre de la ville, le site était déjà très attractif au Moyen-Âge. En 2012, des fouilles rendues possibles par la destruction d’un parking, d’une salle de sport et d’un bâtiment d’appartements en vue de la réhabilitation du site et de la construction de la bibliothèque ont révélé de nombreuses traces d’activités de tanneurs, remontant parfois jusqu’au XIVe siècle. Dès la fin du XVIIIe siècle, le site connaît une première industrialisation avec l’installation de trois industries textiles et d’une usine à gaz. En 1943, le nom « Waalse krook » fait passer dans la toponymie le constat de décennies de déchargement à cet endroit de cargaisons de charbon venus du Hainaut.

Situé dans le quartier de l’Université, au Sud du centre ville, non loin de l’ancienne maison du peuple du Vooruit, le quartier abrite aussi un cirque d’hiver, Wintercircus ou Nieuw Circus, construit en 1894 pour concurrencer l’hippodrome en bois De Drie Sleutels. Détruit par un incendie en 1920, reconstruit trois ans plus tard, le bâtiment pu accueillir jusqu’à 3400 personnes pour des spectacles de cirque, des revues de variété, des projections de cinéma, etc. et hébergea longtemps les automobiles old timers de la collection Mahy… Après 40 ans d’inactivité et d’abandon, le bâtiment va être rénové afin d’accueillir dès 2020, juste de l’autre côté de l’esplanade de la bibliothèque, un espace d’exposition, un hub pour des initiatives économiques innovantes, une salle de concert, un café et un restaurant sur le toit… Renouant ainsi, d’une certaine manière, avec son rôle initial : rassembler les gens.

Architecture : une certaine monumentalité discrète, ouverte sur la ville

Si une icône est quelque chose qui fait dire ‘Waow’, alors ce n’est pas ce qu’on construit. — Coussée & Goris, architectes

Parmi les 99 projets participants au concours mis en place, c’est la proposition conjointe du bureau gantois Coussée & Goris et de leurs partenaires catalans RCR Arquitectes qui fut choisi.

Aujourd’hui partiellement réalisé (il reste entre autre à réhabiliter le cirque d’hiver et à construire une nouvelle passerelle piétonne et cycliste au-dessus de l’eau et un arrêt du watertram), le projet convainc d’abord parce qu’il ne se limite pas à un bâtiment, parce que les relations que celui-ci entretient avec le site, les bâtiments et le paysage environnants ont été prises en compte. Les circulations piétonnes et cyclistes, l’imbrication des places, placettes et aires de repos (extérieurs et intérieures) pour lecteurs, flâneurs et passants semble compter autant que la simple résolution du cahier des charges des fonctions à remplir par la bibliothèque. Au niveau de son plan, le bâtiment est comme brisé en forme de chevron, redéployé par un angle qui, côté ville, gère l’inscription du bâtiment dans le tissu urbain et, côté Escaut, sa relation avec la fameuse courbure du cours d’eau qui lui donne son nom. En outre, cet angle permet de ne jamais laisser voir le bâtiment dans son entièreté, d’un seul coup d’œil et de dès lors diminuer l’emprise visuelle de ses 18.000 m2 de surface utilisable.

Au niveau de sa verticalité, le bâtiment ne nargue aucune des tours de Gand, ni celles du beffroi ou de la cathédrale Saint-Bavon, ni celle de la « boekentoren » (tour de la bibliothèque de l’université) d’Henry van de Velde (1935). La nouvelle bibliothèque assume un certain degré de monumentalité qui sied à un bâtiment public doté d’une saine dose d’ambition et d’utopie, mais l’empilement décalé de ses plateaux et le motif des lamelles en métal laqué de ses façades la projettent plutôt une horizontalité qui protège (l’auvent, le toit, la « caquette ») et dans un porte-à-faux qui métaphoriquement titille une certaine idée de déséquilibre et d’avancée audacieuse vers l’inconnu. D’une qualité sculpturale évidente à l’extérieur, le bâtiment révèle ses atouts de transparence et la multiplicité de ses points de vue sur la ville une fois qu’on y pénètre et qu’on en explore les espaces, petits et grands, intimistes ou plus solennels (la grande salle de lecture, les grands escaliers conçus aussi comme des gradins reliant les plateaux entre eux).

Le pilier technologique du projet

Tant dans la peau et les entrailles de sa machinerie (un impressionnant système de tri informatisé des livres rendus par les emprunteurs ; la présence bien pensée des écrans d’information) que dans les activités qu’elle abrite, la bibliothèque – faisant le pont entre les fonctions de grande bibliothèque publique et l'accueil des nombreux étudiants de l'Université (même s'il y a, à part,une autre bibliothèque liée à l'université) – fait la part belle aux nouvelles technologies. L’Imec (Interuniversity microelectronics centre), grand institut de recherche basé à Louvain est l’un des partenaires principaux du projet et De Krook héberge son antenne gantoise mais aussi les groupes de recherche Media en ICT (Mict), Cultuur en Educatie et le Internet Technology & Data Science Lab (IDLab). On y trouve aussi un espace d’immersion en réalité virtuelle, des imprimantes 3D et autres machines de découpe au laser… mais aussi le Digitaal Talent Punt, espace de soutien en informatique pour les personnes moins à l’aise au contact de ces technologies. Et chaque année, l’enquête Digimeter sur les pratiques numériques des Flamands y est également menée.

Convivialité et confort de lecture : l’humain au centre

La bibliothèque est plutôt sobre en termes de couleurs. Elle a été pensée pour que ce soient les livres – et les lecteurs – qui lui donnent vie. — Myriam Verreycken, De Krook

Dans cette « ville dans la ville », prêtant et offrant en consultation sur place romans, livres de non-fiction, BD, CD et DVD, l’utilisateur reste au centre du dispositif. Quand on visite le bâtiment, on est frappé du degré d’occupation des places disponibles dans les salles (et les recoins) de lecture, des plus grands et conventionnels, à de plus petits, satellites des premiers. Beaucoup d’étudiants y travaillent, un silence concentré y règne. À l’étage inférieur du navire, dans un espace enfants spécialement aménagé à leur attention, la tentation est grande de saisir un livre et de nous déchausser pour nous lover dans une des huit alvéoles d’un mur-meuble aux moelleux cocons de lecture.

Ailleurs, dans un même souci de prendre soin et de rendre service aux usagers, des conseils juridiques, familiaux ou d’orientation scolaire sont prévus, tandis qu’une sorte d’école de sur PC  (digitale huiswerkondersteuning) : vient d’être lancée…

Les Gantois ne s’y trompent pas et répondent massivement « présent » puisque le bâtiment compte 7.000 passages du seuil par jour (une personne sortant manger son casse-croûte, donner un coup de fil ou fumer une cigarette au pied de la sculpture de Michaël Borremans sur le parvis comptant cependant pour deux franchissements de la porte). Surpris par de tels chiffres de fréquentation (dans l’ancienne bibliothèque de la Woodrow Wilsonplein, le chiffre équivalent était de 2.500), l’équipe de De Krook a raté le 1.000.000e  passage de la porte et s’est résolu à fêter le 1.111.111e visiteur, le 6 novembre dernier, à peine huit mois après son inauguration.


Philippe Delvosalle
- la plupart des photos de la bibliothèque (c) Michiel Devijver / De Krook -

- un tout grand merci à Myriam Verreycken pour la visite guidée -


De Krook
1 Miriam Makebaplein
9000 Gent

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