Ernest Pignon-Ernest. Espace, temps.
C’est l’image de présentation qui a été choisie pour cette première exposition d’Ernest Pignon-Ernest à Bruxelles. C’est étonnant d’ailleurs, non pas ce choix d’illustration, mais bien qu’il s’agisse d’une première dans la capitale belge pour cet artiste qui compte plus de cinquante années de carrière. Issu de son intervention dans les rues de Rome, Ostie, Naples et de Matera en 2015, ce dessin commémorait le quarantième anniversaire de la mort de l’artiste et intellectuel Pier Paolo Pasolini. On le voit solide, ancré sur ses deux jambes, le regard droit, portant le corps désossé d’un homme mort, le sien. Le choix de l’œuvre s’explique sans doute par le fait que l’on peut, à travers elle, déjà appréhender les caractéristiques majeures du travail de l’artiste, tant d’un point de vue technique que dans les thèmes abordés.
Ernest Pignon-Ernest maîtrise parfaitement les nuances de gris, ce qui confère à ses sujets un modelé remarquable dans les corps comme dans les drapés. Il pratique un style académique finalement risqué puisque d’aucuns lui reprocheront son cloisonnement dans une pratique trop soignée. Tandis que d’autres lui voueront une ferme admiration pour ces mêmes raisons, voire lui attribueront une certaine forme d’originalité dans le paysage artistique contemporain et plus spécifiquement, dans celui du street art.
Ernest Pignon-Ernest représente ses sujets à l’échelle 1/1. Il les reproduit à plusieurs exemplaires par le biais de la sérigraphie et les colle dans l’espace public. Les thèmes traités naissent de l’appréhension de lieux chargés d’histoire et l’intervention de l’artiste aux seins de ces espaces les investis d’une puissante charge symbolique. Avec cette même intention, Pasolini assassiné a été collé dans les rues de villes italiennes (notamment à Ostie où l’homme est décédé) pour honorer sa mémoire, interpeller le passant mais aussi poser un acte artistique coudoyant l’acte politique, sorte de signature du dessinateur.
La rue est un fantastique terrain de jeu pour Ernest Pignon-Ernest. Les murs, qu’il fait parler, lui servent comme outil pour commémorer, célébrer, éveiller, questionner. Surtout, il s’y appuie pour créer, incluant les lieux qu’il parcourt au cœur des œuvres qu’il produit. Mais alors, qu’en est-il du sens de l’œuvre lorsqu’elle est placée hors de son contexte comme au Botanique ? Lorsque les dessins quittent la rue pour rejoindre la salle d’exposition, que nous racontent-ils ?
Indiscutablement, leur fondement en est transformé. Le dessin prend une nouvelle dimension, pris indépendamment de son contexte, il revêt une autre fonction. D’objet d’art, il devient archive, témoignage, empreinte d’une démarche, d’un événement qui a eu lieu. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la perception de l’œuvre auprès de celui qui la reçoit.
Les expositions qui suivent ces actions (parfois à des années d’intervalle), je les conçois comme l’exposé de la démarche, le développé du processus. — Ernest Pignon-Ernest
C’est donc avec cette approche documentaire qu’il faut entrer dans l’exposition au risque d’être un peu déçu de ne pas ressentir la force qui se dégage d’une œuvre qui entre en résonance avec le lieu pour lequel elle a été façonnée.
On le dit précurseur du street
art. Par ailleurs, il ne fait pas l'ombre d'un doute que le travail d'Ernest Pignon-Ernest se distingue de celui des générations suivantes. Il semble attaché au
passé, son dessin et ses références s'apparentent à une histoire des arts (en ce compris littéraires) occidentale et finalement assez conventionnelle. Les sujets qui jalonnent son travail témoignent quant à eux d’un solide engagement et d'une fine compréhension du monde qui l’entoure.
Alicia Hernandez-Dispaux
Image de bannière : Rubens, Anvers, 1982. ©Ernest-Pignon-Ernest, Courtesy-Galerie-Lelong-&-Co
Ernest-Pignon-Ernest - Empreintes
Jusqu'au Dimanche 10 février 2019
Le Botanique
Rue Royale 236
1210 Bruxelles (Saint-Josse-ten-Noode)
Exposition visible du mercredi au dimanche (12h-20h)