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Pointculture_cms | critique

68 MILLION SHADES...

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Dès ses débuts dans le métier, le duo Spring Heel Jack, Ashley Wales et John Coxon, s’est placé en marge de ses pairs, et si leur musique était alors qualifiée de jungle ou de drum’n bass, elle était déjà bien plus complexe et variée que cette […]

Le groupe enregistrait déjà depuis plus de trois ans lorsqu’ils décidèrent de publier leur premier disque, There Are Strings, trouvant une cohérence autour du breakbeat et organisant leur album autour de ces rythmiques cassées, fragmentées, qui rassemblaient alors la scène jungle et la scène rave. Mais leur travaux étaient jusque-là bien plus diversifiés que ne le laissait entendre cet album, même si lui aussi s’écartait régulièrement du moule, pour se laisser aller à des morceaux plus lents, plus ambient ou plus expérimentaux, dont la composition rappelle l’éducation classique d’Ashley Wales (le morceau « Derek », par exemple, totalement dépourvu de percussion). Le groupe approfondira encore cette approche de composition avec son deuxième album, 68 Million Shades. Mais entre les deux albums, le duo va attirer l’attention de la critique et du grand public en produisant et cosignant la plage titulaire de l’album Walking Wounded du groupe Everything But the Girl, un album qui sera un énorme crossover hit, séduisant un public mélangé et convainquant les derniers amateurs de pop jusque-là rebutés par les rythmes de la jungle. C’est de là notamment que viendra la légendaire animosité des puristes envers Spring Heel Jack, accusé de pervertir la jungle et de vendre son âme au grand commerce. Cette querelle d’école a fractionné la critique en un camp défendant le groupe comme l’ouverture qui manquait à la drum’n bass, l’autre lui reprochant de diluer le genre et de l’éloigner encore de ses racines underground. Le milieu était alors divisé entre les partisans d’une plus grande complexité, d’une plus grande subtilité, au risque d’y perdre l’énergie de la musique, et surtout de la détourner de ses origines de musique de danse, et les partisans d’un repli sur l’underground des clubs, préconisant une radicalisation du genre, et son durcissement. Rétrospectivement, ces querelles internes peuvent sembler saugrenues, mais elles montrent le sentiment d’appartenance et de propriété qui liait alors la musique à son public. Pour le duo toutefois, ces divisions et ces discussions semblent assez peu appropriées. Le groupe a toujours été relativement isolé, travaillant en solitaire en marge des clubs londoniens, leurs principaux liens avec le milieu musical leur venant au contraire de la pop (Coxon a été le producteur de Betty Boo et de Marc Almond) ou du rock (il est également guitariste au sein du groupe Spiritualized). Mais c’est sans doute cet isolement qui leur a permis, en les tenant à l’écart des discordes et des diktats, de suivre leur propre voie, sans s’inquiéter d’entrer ou non dans le moule imposé par les censeurs autoproclamés du genre.

Benoit Deuxant

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