76.14
Global Communication est un des très nombreux projets de Tom Middleton et Mark Pritchard, à côté de Jedi Knights, Link, Reload et des multiples projets solo de chacun, de Cosmos à Harmonic 33 jusqu’au tout récent Africa Hitech.76:14 est étonnamment le seul album publié sous ce nom (une série de singles mis à part). Débarquant dans une période qui est sans doute l’âge d’or du genre, il cristallisait tout ce que l’ambient représentait alors, tant au plan musical que visuel ou conceptuel. Sorti un peu après Selected Ambient vol.II d’Aphex Twin et Patashnick de Biosphere, il définissait lui aussi une musique en marge de la scène techno, s’échappant progressivement de sa fonction de chill-out électronique, de redescente climatisée, de moment de calme entre deux sets dansants, pour devenir un genre en soi. On y retrouve bien sûr l’influence de la techno, de la house, mais aussi et surtout l’empreinte des grands pionniers : Brian Eno, bien sûr, inventeur du terme et théoricien du genre, mais aussi David Sylvian, Weather Report, ainsi que d’autres prédécesseurs moins évidents comme Debussy ou Satie, voire quelques touches de Vangelis. Symptomatique de son époque, le disque se présente avec des informations réduites au strict minimum, le nom du groupe y est à peine lisible, l’imagerie en est floue, l’album et les morceaux n’ont pour titre que leur durée, pour « ne pas orienter l’imaginaire de l’auditeur », et lui laisser toute latitude pour interpréter (ou non) la musique. Celle-ci, malgré sa production typiquement 1990, se réfère également à d’autres manières de faire, d’autres processus, des constructions mélodiques minimalistes, des nappes, et une absence de percussions sur la plupart des morceaux, construits autours de couches de claviers plus que sur des structures rythmiques. Lorsqu’on trouve tout de même un rythme, il accompagne la charpente harmonique sans s’y imposer. C’est alors un enjolivement, un ajout, et non un moteur comme sur la plage « 14:31 » ou il est réduit au simple rappel métronomique d’une pendule. S’il refuse de diriger l’interprétation de l’auditeur, le disque n’est pas pour autant totalement abstrait, Middleton et Pritchard l’ont au contraire envisagé comme une création complète, quasiment synesthésique, faisant appel à tous les sens, il se veut avant tout émotionnel, et émouvant. L’ambient se détachera par la suite de cette vision sensuelle, et affective, de la musique, et cherchera l’objectivité, le détachement, mais en ce milieu des années 1990, c’est une forme d’idéalisme psychédélique qui prédominait. Une génération de musiciens, et leur public, mêlaient alors hédonisme et utopie, volupté du présent et futurisme.
Benoit Deuxant