94 DISKONT
En 1994, Oval était encore un trio composé de Markus Popp, Sebastian Oschatz et Frank Metzger, et non encore le projet solo autoproclamé de Markus Popp. Leur précédent album était un album de chansons pop, apparentées à une tradition très allemande de composition décalée, en marge du rock comme de la musique électronique, et inscrivant une démarche avant-gardiste, formellement subversive, dans l’académisme classique de la chanson. Les compositions qui figurent sur ce premier disque, Wohnton (1993) exploraient déjà les possibilités sonores du glitch, des erreurs techniques occasionnées par la lecture de disques (numériques) endommagés, maltraités, ou préparés. En mettant en boucle ces passages défigurés de CD, en isolant les interférences et les sons parasites nés de ce détournement des techniques normales de lecture de disque, le groupe inventait alors une musique basée sur l’assemblage de minuscules fragments de déchets électroniques, de sons corrompus et de musique dénaturée, expropriée.
Publiés cette fois chez Mille Plateaux, label allemand expérimental post-techno, ces deux albums proposaient un saut conceptuel en mettant l’accent sur la musique non plus comme support du texte, mais comme élément principal du discours. Selon les déclarations du groupe, ce discours se voulait avant tout réflexif, critique, sur le statut de la composition électronique à l’aune des nouvelles technologies. Leur musique se présentait comme un commentaire sur les médias, sur le support musical comme sur la présence esthétique de la musique et son statut de son organisé.
Cette nouvelle orientation du projet Oval a vu Markus Popp écarter les deux autres membres du groupe pour en faire son alias personnel, et l’orienter vers une définition de plus en plus conceptuelle. Il déclara concentrer ses efforts sur le rejet de toute forme d’expressivité au sens traditionnel, et sur la mise en perspective du conflit entre les techniques contemporaines, numériques, de productions sonores et la vision décrétée antique de l’artiste comme auteur et créateur. L’insistance sera alors sur le statut de commentaire critique du projet plus que sur celui de production, ou d’exploration artistique du son. Par delà le discours, il reste une vision radicale de la musique comme assemblage méticuleux de cellules sonores, comme agrégation de fragments, d’éclats, renvoyant à la fois à l’œuvre d’origine (en tout cas à son contexte) et à ses conditions matérielles de production. Si la présentation de l’échantillon comme fraction métonymique peut parfois sembler didactique, le résultat, après un travail patient d’accumulation tonale et de juxtaposition rythmique, dépasse avec bonheur le simple exposé.
Benoit Deuxant