Des révoltes qui font date #36
février 2020 // Les Premières Nations contre les oléoducs canadiens
Sommaire
Parmi les premières mesures signées par Joe Biden dès son arrivée à la présidence des États-Unis se trouve le rejet du projet Keystone XL, qui prévoyait la construction d’un oléoduc reliant la province d’Alberta au Canada et plusieurs sites du golfe du Mexique aux USA. Cet événement qui peut sembler anecdotique vu d’Europe est une grande victoire pour les communautés amérindiennes des deux pays ainsi que pour les mouvements écologistes de la région. S’il ne s’agit que d’une victoire partielle, elle signale l’intention, d'une part, de combattre la crise climatique et, d’autre part, de répondre aux demandes de ces communautés.
Le contexte
Le combat contre les pipelines est complexe ; il dure depuis plus de dix ans et a traversé plusieurs phases. Les différents gouvernements successifs, au Canada comme aux États-Unis, ont eu des attitudes très diverses à ce sujet. L’administration Obama avait refusé le projet que le régime Trump a lui, ensuite, encouragé. Le gouvernement Trudeau a de son côté pris position en faveur de l’industrie pétrolière et soutenu les multiples initiatives de ce type sur son territoire. Outre l’oléoduc Keystone XL, d’autres grands chantiers sont en cours, parmi lesquels le projet Coastal Gaslink qui devrait relier Dawson Creek à Kitimat en passant à travers les Rocheuses canadiennes.
Le réseau de pipelines canadien comporte près de 840 000 kilomètres de tubes acheminant pétrole, gaz et gaz pétrolier des puits de l’Alberta, au centre du pays, vers les autres régions et vers leurs voisins américains. C’est une composante très importante de la fourniture en énergie du pays, et de ses exportations, qui constitue une part majeure de son économie et génère de nombreux emplois. Il est réglementé par la Régie de l’énergie du Canada, qui a pour mission, outre d’assurer le fonctionnement de ce réseau de transport, de protéger le milieu naturel du Canada, et de respecter les droits des autochtones. Une consultation est établie avec les « Premières Nations » (les Canadiens utilisent le terme de « First Nations » pour désigner les communautés autochtones amérindiennes, à l’exception des Inuits, au lieu du terme américain de « Native Americans ») concernant chaque extension du réseau à travers leurs territoires.
Cette consultation n’empêche pas les projets d’être extrêmement controversés. Les opposants mettent en avant plusieurs problèmes liés à ces chantiers. Une partie concerne les risques de fuite et de pollution causés par les oléoducs, une autre concerne l’impact des travaux sur l’environnement. Parmi les craintes se trouvent non seulement des soucis écologiques mais également les dangers présentés par l’installation de campements d’ouvriers au voisinage des communautés autochtones. Celles-ci rappellent les nombreux cas de violence, notamment envers les femmes, qui ont accompagné les précédents grands travaux. Un dernier argument concerne la consultation elle-même et la manière dont le consentement des Premières Nations est obtenu. Tout d’abord, le pluriel est important, chacune des nations concernées doit marquer son accord et si certaines y voient un intérêt économique, d’autres ne partagent pas cet avis. De plus, la prise de décision au sein des communautés ne reflète pas toujours l’ensemble de celles-ci. Il y a ensuite plusieurs problèmes dans la législation canadienne, la première est la distinction entre le terme de « réserve » qui désigne le lieu d’habitation, protégé de toute interférence, et celui de « territoire », plus complexe, qui recouvre les terres que les nations considèrent comme leur appartenant, ce que conteste l’État. Enfin il y a le terme de « consultation », à propos duquel le premier ministre Trudeau a bien indiqué qu’il ne s’agissait nullement d’un droit de véto.
Les tensions au sujet de la construction de ces différents oléoducs ont mené les activistes à ériger des barrages sur les routes, des barricades autour des sites et, dans certains cas, à installer des pièges sur les terres menacées. Les affrontements entre les défenseurs de ces ZAD amérindiennes et les forces de l’ordre ont amené à des affrontements parfois violents, comme à Standing Rock, dans le Dakota du Nord, où le gouverneur a fait intervenir la Garde nationale. Des dizaines de policiers et de militaires ont chargé une manifestation pacifique, procédant à 140 arrestations.
A Tribe Called Red
Le groupe A Tribe Called Red a été fondé en 2010 par trois membres des communautés autochtones : DJ Shub est Mohawk, Bear Witness est Cayuga et DJ NDN est issu de la Première Nation du lac Nipissing. Musiciens et DJ, ils organisaient au Canada des soirées appelées Electric Pow Wow, avant de sortir en 2012 un premier album intitulé A Tribe Called Red. Leur musique est un mélange de musique électronique, de hip hop et de percussions et chants amérindiens. DJ Shub a quitté le groupe en 2014 et a été remplacé par Tim Hill, alias "2oolman". Leur troisième disque We Are the Halluci Nation est sorti en 2016. Le titre de l'album, de même que les paroles de la chanson d'introduction, sont tirés des écrits de l'activiste et poète John Trudell. Plusieurs artistes ont collaboré à l'album, comme Tanya Tagaq, Yasiin Bey (aka Mos Def), Saul Williams, et les Black Bear Singers, entre autres.
Cette chanson peut être utilisée par toute personne qui veut promouvoir la souveraineté des terres indigènes et un réel dialogue, de nation à nation, entre les peuples indigènes de Turtle Island et les colons canadiens. — A Tribe Called Red
En février 2020, le groupe a publié une chanson en soutien aux protestations contre l’oléoduc Coastal GasLink, intitulée « Land Back », disponible gratuitement sur la page SoundCloud du groupe. Le geste est destiné à diffuser le morceau afin de rallier l’opinion publique autour du combat du peuple Wet’suwet’en contre l’invasion de leurs terres. Le groupe, aujourd’hui constitué du duo Tim 2oolman Hill et Bear Witness Thomas, explique leur propos : « Nous nous opposons à l’invasion des terres souveraines d'indigènes par la RCMP (la police montée canadienne) et le pipeline de Coastal GasLink. [...] Tant que les Canadiens ne voudront pas traiter les nations indigènes de ce pays avec le respect qui leur est dû, une réconciliation entre les peuples souverains ne restera qu’un geste vide. »
Benoit Deuxant
Le morceau « Land Back » est disponible en stream ou download sur le site: http://smarturl.it/eocpk8
La photographie du groupe, signée Matt Barnes, est tirée du press kit sur le site https://thehallucination.com/bio/
Le patch qui illustre la “pochette” du morceau a été réalisé par l’artiste multimedia Whess Harman. Il est vendu afin de récolter des fonds pour financer la défense légale des activistes qui ont installé un barrage aux abords du camp de Unist’ot’en sur le site de construction du pipeline.
Plus d’infos sur le site du camp Unist’ot’en: http://unistoten.camp/
Cet article fait partie du dossier Des révoltes qui font date.
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