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Pointculture_cms | critique

ABDEL HADI HALO & THE EL GUSTO ORCHESTRA OF ALGIERS

publié le

C’est l’histoire d’un beau projet, ressusciter un orchestre de chaabi algérien des années 50. Lancé en 2003 par la réalisatrice irlando-algérienne Safinez Bousbia, le projet consistait dans un premier temps à retrouver les membres dispersés de […]

 

C’est l’histoire d’un beau projet, ressusciter un orchestre de chaabi algérien des années 50. Lancé en 2003 par la réalisatrice irlando-algérienne Safinez Bousbia, le projet consistait dans un premier temps à retrouver les membres dispersés de l’orchestre El Gusto d’Alger. Il s’agissait ensuite de les réunir pour une série de concerts, un film et un disque sur le label Honest Jons (produit par Damon Albarn). La comparaison est inévitable avec d’autres entreprises du même type comme « Buena Vista Social Club », avec lequel le projet possède de nombreux points communs. Il repose bien sûr en partie sur l’impact émotionnel des retrouvailles des membres de l’orchestre et sur les circonstances de leur séparation.

C’est donc l’histoire bien particulière de cet orchestre, composé à parts égales de musiciens musulmans et juifs. Fondé au conservatoire d’Alger par le maître incontesté du chaabi moderne, Hadj M’hamed El Anka, l’orchestre se produisait dans les cafés de la casbah, jouait aux mariages et aux cérémonies des communautés juives comme musulmanes. C’était l’époque en effet où les deux communautés partageaient la même vie, la même musique. Ils allaient devenir les principaux interprètes de cette nouvelle musique, le chaabi, mélange de styles arabes, berbère, de chanson française et de musiques exotiques latino-américaines. Plongeant ses racines autant dans la culture musicale classique arabe et arabo-andalouse que dans les styles populaires de son temps, le chaabi était la musique de choix pour toutes les occasions festives, des plus privées aux plus publiques. Tout cela s’arrêta net avec l’indépendance de l’Algérie, lorsque la majeure partie de la population juive, craignant pour sa survie dans un pays désormais musulman, décida de quitter l’Algérie, la plupart pour la France. Quelques années plus tard, le chaabi passait de mode, remplacé par d’autres genres plus modernes.

La réalisatrice parvint à localiser une quarantaine de musiciens, en France et en Algérie, avec l’aide du musicien Abdel Hadi Halo, le fils du fondateur El Anka, décédé en 1978. Le but était de rassembler tous ces musiciens, âgés pour la plupart de plus de 60 ans, pour un concert de retrouvailles à l’Opéra d’Alger. Malheureusement, les musiciens juifs ont préféré ne pas se rendre en Algérie, où ils n’avaient plus mis les pieds depuis 1962. Le premier concert (et par conséquent le disque également) ne comportera que les musiciens musulmans. La vraie réunion triomphale de l’orchestre aura lieu plus tard, en fin 2007, à Marseille, et sera suivie d’un concert au Barbican Center de Londres, pour lequel l’orchestre algérois sera rejoint par les «exilés», parmi eux le chanteur Luc Cherky, le pianiste Maurice El Medioni, ou l’acteur Robert Castel, fils du chanteur Lili Labassi.

Le présent disque rassemble donc autour du pianiste Abdel Hadi Halo un orchestre de 31 musiciens, dont quatre chanteurs, et une instrumentation allant des cordes, oud, qanun (cithare), mandoline, banjo, violons, gambar (carapace de tortue à cordes) aux percussions, bendir et derbouka, en passant par la flûte et l’accordéon. Le répertoire est tout aussi varié, mêlant style classique et style populaire, composé de six longues chansons d’amour, allant de sa version mystique, célébrant l’amour d’Allah, à sa version plus mondaine, célébrant les jolies filles. Passant allègrement du recueillement à la passion, et du sacré au profane, ou au frivole, le disque traverse une grande variété d’émotions, exploitant la diversité de l’orchestre et sa capacité à s’associer au chant du soliste pour des refrains époustouflants. Reflétant la position d’Alger au carrefour de traditions musicales aussi diverses que le flamenco, la musique noire-africaine, les traditions berbères, juives et arabes, et les emprunts au jazz et au blues apportés par les militaires américains pendant la Seconde Guerre mondiale, le chaabi de l’orchestre El Gusto n’est pas seulement le reflet nostalgique d’une époque passée. L’entrain et la joie de jouer à nouveau ensemble de cette reformation est pour beaucoup dans la réception extrêmement enthousiaste du public, qu’il ait connu et vécu l’âge d’or du chaabi, ou qu’il appartienne à cette jeune génération qui redécouvre la musique de ses parents. Dans la foulée de l’album «Origines contrôlées» des frères toulousains Mouss et Hakim, ex-Zebda, qui rendaient hommage aux chansons composées par les artistes algériens exilés en France, de Slimane Azem à Mohamed Mazouni (récemment réédités par le label Creativ Productions, dans sa « collection patrimoine »), cette grande famille de pionniers du chaabi se voit ici offerte l’occasion d’une reconnaissance internationale.

Benoit Deuxant

 

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