EN ATTENDANT LE BONHEUR
En attendant le bonheur , voici un titre qui aurait fait bonne figure
au rayon poésie d'une librairie. Et à contempler les images qui
s'offrent à nos yeux encore étourdis, on comprend pourquoi. Car
c'est bien de cela qu'il s'agit : un recueil de poèmes. Abderrahmane
Sissako filme avec autant de maîtrise que d'onirisme un chapelet de saynètes
douces-amères, égrenées le long d'un récit sans
réelle intrigue où l'humour y est fragile comme le temps qui passe.
Le cinéaste semble – volontairement - faire l'impasse
sur l'histoire, la jugeant superflue au propos de son film. Il y est question
de communication impossible, de bonheur plus ou moins lointain et d'attente…
Voilà qui justifie non seulement le titre, mais bien évidemment
l'apparente inaction du récit. De ce qui apparaît d'abord comme
une faiblesse, le réalisateur tire avantage : le spectateur se trouve
complice de ces personnages emprunts d'une mélancolie à peine
dissimulée. Nous rions avec eux, partageons leurs joies, leurs peines.
Et tout comme eux, nous attendons. Sous un ciel d'une luminosité surnaturelle,
les tableaux se succèdent tout en maintenant l'attention et l'esprit
sous l'emprise d'un étrange engourdissement. Comme hypnotisée,
la raison s'abandonne aux mystères qu'elle découvre, se débarrassant
au passage de tout jugement de valeur. Car les rêves n'ont pas de prix,
si ce n'est l'importance et le temps qu'on leur consacre. D'une terre aride
éclôt ce film, lucide et brillant à bien des égards.
(Michaël Avenia, Liège)