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Pointculture_cms | critique

BAD LIEUTENANT [COLLECTOR]

publié le

Résurgences d’un mauvais sujet. Le remake qui colle aux dents.

 

 

     

dlLa genèse du projet remonte à l’idée vicieuse d’un producteur malin : réécrire un personnage de fiction, le remettre en mains propres – ou le transmettre, comme une maladie – à des réalisateurs choisis. Pour ces faux remakes, très peu de consignes, pas même celle de s’en référer à l’œuvre originale,mais quelques directives superficielles : s’en tenir au titre, changer de décor, c’est-à-dire, évacuer New York. Le mauvais lieutenant peut alors devenir un concept, un palimpseste ou mieux: un golem. Nicolas Cage succède à Harvey Keitel : aucun rapport entre les deux, tant mieux. N’y voir que folie furieuse et absurde irrévérence serait réduire ce personnage neuf à ses actes, alors même que, à un certain degré, il n’est que décalage, hiatus entre le geste et la conséquence, entre l’intention et la manifestation, entre l’outrage et le cynisme. Quel que soit son point de départ (le plus souvent, dans la tête du lieutenant), la focale se brise et s’effondre avec fracas. C’est une profondeur de nausée : l’image reflue. Dans une ambiance de lait tourné, les assignations vacillent, le paysage urbain discontinu, entre gratte-ciel et gratte-boue, est une projection épique de l’Amérique dans l’imaginaire d’un poète asocial. Quant aux actes scandaleux, c’est du travail d’amateur, des approximations, des improvisations parfois géniales qui cependant semblent défier en ridicule toute évaluation éthique. À elle seule, la nonchalance du lieutenant discrédite le Bien et le Mal – c’est-à-dire ce manichéisme infantile dont le cinéma d’action américain fait son fonds de commerce. Vraiment il serait vain de vouloir résoudre le film en une équation morale, comme il serait dommage de l’en soustraire tout à fait.

blQuelques glissements s’imposent dans l’interprétation, il faut parcourir divers degrés, descendre et monter sans cesse, s’intéresser à ce faux naïf de Nicolas Cage qui, complice de Herzog, réinvente brillamment le personnage. Avec sa démarche déboulonnée et son visage tirant vers le bas, il lui donne des galops tordus, des ruades dérisoires, des ivresses caverneuses, un rire insensé : splendide Don Quichotte urbain, ses moulins fondent dans la poudre blanche, son héroïsme pathétique ne vise qu’à sauver - il mue fréquemment - ses propres peaux. Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans se démarque nettement des affres religieusement kitsch de Ferrara : si ces derniers sont la tasse de thé de certains, la malice de Herzog sera, dense et perfide, une liqueur ambrée. Un liquide sombre, dans la profondeur duquel frémit l’ironie des tourments. Que dans cette ville la pourriture se livre aux orgies de la décomposition, le mauvais lieutenant reçoit tête haute dos cassé les oripeaux grandioses de la gloire faussement imméritée, car il a beau être une loque de désintégrité, il renvoie courageusement à la ville son véritable reflet, ce qui mérite bien quelque honneur de pacotille. Gorgé de références cinématographiques et littéraires, grotesque et très politiquement critique, le film provoque de grands éclats de rire, certainement pas le rire délicat qui chatouille le bout des lèvres, mais le rire perfide montant du ventre qui secoue la gorge, tapisse la langue et macule les dents, voilà: un rire qui colle, insistant, chargé d’inquiétude et d’angoisse.

 

Catherine De Poortere

 

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