Donner c'est donner : « Adieu les cons » d’Albert Dupontel
J’ai tellement voulu réussir que j’en crève. — Suze Trappet
JB vient de perdre son emploi de responsable de la sécurité informatique dans l’administration. L’homme a tout donné à sa carrière. Les portails, les ascenseurs, les dispositifs de reconnaissance faciale n’ont aucun secret pour lui. Geek obéissant, le voilà pris au piège. Sa dévotion au système lui vaut d’en être exclu, car si chacun doit être à sa place, on le juge trop vieux pour la sienne.
Suze travaille dans un salon de coiffure, elle a 43 ans et un minuscule cœur tatoué à l’avant du cou. Elle n’a plus longtemps à vivre, là-dessus son médecin (Bouli Lanners) est catégorique, vous comprenez, le système immunitaire, c’est un peu comme la police. Il se trouve que ses agents internes à elle semblent avoir pris les sprays en grippe, ces doses quotidiennes de microparticules toxiques dont le métier veut que la coiffeuse s’empoisse.
Le propre des gens trop bien intégrés est qu’ils ne sont capables que de s’en prendre à eux-mêmes. Ils ne comprennent pas que le tort n’est pas forcément de leur côté. La révolte des doux ne doit pas avoir lieu ou alors elle doit faire peu de bruit. Et quand ça rate et que l’on ne peut même plus s’en prendre à soi-même, on est presque obligé de désobéir. Tous trois en sont à ce constat : Suze et JB, bientôt rejoints par Mr. Blin, un employé aux archives devenu aveugle des suites d’une bavure policière. Ce ne sont pas des asociaux, ce sont des gens ordinaires, des gens qui n’auraient jamais cru à l’injustice tant ils étaient persuadés de bien faire
La grâce de ce cinéma-là est que les déchus valent infiniment mieux que ce qu’ils étaient avant de déchoir. Dupontel veut croire que la crise libère l’individu, et que dans l’individu, il y a encore quelque chose à sauver. On retrouve dans cette inversion les éléments qui font de ses films un hommage constant et effusif aux Monty Python et à Chaplin. Quelque chose dans la silhouette de Suze, de JB, de Mr. Blin, un je-ne-sais-quoi de tendre et de timide fait que ces trois hors-la-loi paraissent tellement plus aimables quand ils dévient. La chemise blanche, la maille écarlate, le nœud papillon ne sont pas des insignes fortuits de l’appartenance à une classe, oripeaux d’un statut compromis, ils sont la classe, l’élégance même des déclassés.
« — La grâce de ce cinéma-là est que les déchus valent infiniment mieux que ce qu’ils étaient avant de déchoir — ».
Pour que la grâce se révèle, il faut en briser le carcan de solitude. Sans une bonne dose de déveine, ces gens-là ne se seraient jamais regardés. Mais là où chacun transforme son malheur pour le bien des autres, une société se reformule en utopie. Derrière ces caricatures du système que le film désigne comme cons, le mépris fait l’économie de la subtilité au profit d’une énergie propre à la fable où le désespoir n’a pas voix au chapitre. Le rire n’est jamais qu’une forme d’humilité quand il s’enracine dans une vision du monde sensible et généreuse. Ainsi, tout bancal, frileux et maladroit qu'il soit, le point de vue qui traverse les protagonistes ne pourrait être davantage critique : ce qui fait mal à ces gens-là, c’est-à-dire à vous comme à moi, est un mal. Faut-il rappeler cette évidence ? Qu’ils soient d’origine privée ou publique, familiale ou professionnelle, les états de crise sont de ces défaillances dont une démocratie devrait se soucier plutôt que de se retourner contre ceux qui en sont victimes.
Fidèle aux codes et au rythme de la comédie, le film enchaîne les péripéties avec légèreté, une légèreté qui laisse toujours le dernier mot – tendre – au bancal trio formé autour de Suze. On ne croit ni aux personnages ni aux situations mais l’émotion est tangible et le film se regarde avec le sourire comme un combat pas si inégal que ça entre les forces de la bêtise et celles de l’amour.
Texte : Catherine De Poortere
Crédits photos : © Jérôme Prébois – ADCB Films
Agenda des projections :
À partir du mercredi 21 octobre 2020
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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