ADJAGAS
Les Sames de Laponie chantent depuis la nuit des temps, y compris cette longue nuit qui s’écrase sur leurs terres des semaines durant. Les Sames chantent, de génération en génération, pendant que nous
rêvons nos Lapons guidant leurs troupeaux dans un débordement de romantisme enneigé et « Père Noëlisé ». Le joik chant plus que chanson, technique vocale, moyen de communication, battement de cœur du peuple same, salutation à l’environnement, signature vocale dédiée à chacun par le chanteur du coin… le joik ne se meurt pas. Il se transmet, il se prolonge, il se réinvente. Nils-Aslak Valkeapää, Ingor Ante Ailu Gaup, Wimme Sari, Mari Boine Persen et aujourd’hui le duo Adjagas nous prouvent qu’il est possible d’allier une démarche d’artiste et un respect de ce qu’est une tradition en marche. Nils-Aslak ne voulait pas que le chant des Sames se fige comme une pièce enfermée au musée. Adjagas non plus. S’il habille son chant de guitares, banjo, trompette ou piano il chante same, avec vents et marées. Deux traditions vibrent ici, celle de Kautokeino et de la famille Gaup dont fait partie la chanteuse et celle de Deatnu à la frontière avec la Finlande dont vient sans doute le chanteur. Calme et sobre, ce disque doit vous ramener vers le Nord et l’envie de ne pas le perdre. Vous irez alors découvrir la discographie same que la Médiathèque a rassemblée au fil des années. [retour]
Étienne Bours
Anthologies Générales : « Japanese Traditionnal Entertainment » - MX4075 - MX4076 - MX4077- MX4078
(King Records, 2006)
À l’évocation de l’idée de traditions musicales japonaises, l’oreille curieuse se retrouve vite menée dans un territoire bien arpenté et balisé, entre disciplines nobles (musique de théâtre nô, gagagku, koto), quelques traditions rurales encore plus ou moins vivaces ou l’amplification folkloriste (spectacles de taiko). La collection Japanese Traditionnal Entertainment se préoccupe au contraire de mettre à jour des pans méconnus de la culture nippone, essentiellement urbaine, ces bruits, cris et musiques de quat’sous qui impriment à la ville son identité sonore, sa résonance. Les petits divertissements sans prétention et frôlant le kitsch y côtoient le baratin de rue.
Passage en revue des différents volumes :
Moins marqué par l’empreinte occidentale que les très populaires airs mélodramatiques et truffés de violons de l’enka, l’haikara (MX4076) constitue toutefois une autre forme de musique hybride, du moins rehaussée d’un « raffinement à l’occidentale ». Ses airs adoptent une scansion lancinante et répétitive, accompagnés seulement de la ritournelle d’un shamisen et de quelques percussions. On peut, pour cause de barrière langagière, résister aux drames qui nous y sont contés mais succomber totalement à ses mélancoliques psalmodies qui éveillent, chez nous, quelques souvenirs de La Vie d’Oharu, Femme Galante, chef-d’œuvre poignant de Kenji Mizoguchi.
Vous ne vous sentez que peu porté sur le saké triste mais bien plutôt attiré par la gouaille et la roublardise ? Street Performance (MX4075), autre CD de la collection, célèbre, en un patchwork de vivifiantes séquences, les cris de la rue : baratin publicitaire devant les salles de pachinko (sorte de bingo local) ou destiné à la vente de bananes, mélopées enka accompagnées au violon, les manga goku, récits illustrés sur des rouleaux de papier et racontés à haute voix ou encore les mélodies rouillées des marchands ambulants.
Humour, roucoulades charmeuses et airs d’opérettes des années vingt et trente du siècle dernier composent le programme du volume Shitamachi Asakusa Emgei no Machi (MX4077), enregistré pour partie dans l’un des plus anciens théâtres du quartier d’Asakusa à Tokyo, haut lieu de la petite pègre et des cabarets louches, où débuta il y a plus de trente ans un certain Takeshi Kitano.
Dernière étape de notre périple : l’un des six tournois annuels de sumo dont l’ambiance sonore est illustrée sur le volume Sumo Jinku à la carte (MX4078). Avant tout affrontement entre rikishi, l’arène du combat laisse résonner un sumo jinku, une annonce chantée/déclamée solennellement par le yobidashi, un assistant de l’arbitre. Le ventre repu et gonflé à la bière Asahi, l’esprit diverti, la joie d’avoir pu célébrer un nouveau yokozuna (le grand champion), c’est un peu à tout cela que nous invite - par procuration du moins - cette très belle collection. Dernière remarque : les notices, plages et noms d’artistes de ces quatre CD sont en japonais ! [retour]
Jacques de Neuville
Pour suivre :
- Anthologie générales : « Min’Yo : Folk Song From Japan » - MX6221
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Hibari MISORA : « Misora Hibari » - MX4805 (Musique enka)
Gamelan of Central Java - Vol. VIII - Court Music Treasures - MZ1296
(Felmay, 2007)
Vol. IX - Songs of Wisdom and Love - MZ1297
(Felmay, 2007)
Dans le livret accompagnant le Volume IX de cette série de parutions consacrée à la musique de Java, on peut lire un court essai intitulé « Conceptual Cues on Javanese Music », dans lequel son auteur, Ilario Méandri, s’interroge sur la fascination que produit la musique de gamelan sur l’occident depuis plus d’un siècle. Reconnue par bien des compositeurs, l’exemple le plus célèbre étant Debussy, comme une découverte qui influencera toute leur musique, la rencontre de la musique balinaise et javanaise fut l’occasion d’une rupture avec la tradition musicale occidentale. Ses effets se font aujourd’hui sentir de la musique minimaliste à l’ambient électronique. Et bien que tout sépare cette musique de celle qui fut la nôtre jusque-là : les modes musicaux, les intervalles, les rythmes, l’usage extensif des percussions, elle a pourtant conquis un grand nombre de compositeurs et déteint sur leur musique. Méandri pose la question de savoir si l’occident a succombé au charme du gamelan parce qu’au-delà des formes se dégage un universel qui séduit, même sans connaissances préalables de la culture balinaise ou des critères de jugement que les puristes utilisent pour apprécier cette musique. Ou bien si c’est justement à cause de cela, cette méconnaissance et cette incompréhension provoquant une fascination qui se traduit presque toujours en acceptation, puis en attirance. Le lien entre l’Art et la Culture, et la nécessité, ou non, de comprendre une œuvre pour pouvoir l’aimer, est un débat peut-être insoluble.
Si l’essai de Méandri ne parvient pas à résoudre ce dilemme de manière convaincante, sa question est toutefois pertinente et un bon point de départ pour se plonger dans cette excellente série de l’association Yantra, éditée par le label Felmay, abordant le gamelan de Java sous toutes ses formes, de la musique de cour à la musique sacrée.
Avec un certain humour le label a choisi comme devise : « La musique est intemporelle, les sons sont magnifiques, les notes sont différentes ». C’est un début de réponse. [retour]
Benoît Deuxant
Misako OSHIRO : « Uta Umui » - MX5861
(Tuff Beats, 2007)
Bien que l’archipel d’Okinawa soit aujourd’hui associé au Japon, il n’en possède pas moins sa propre histoire, sa propre culture et son propre écosystème. Les Japonais, si fiers de leur mode de vie traditionnel et de leur nourriture si saine, concèdent qu’Okinawa les bat sur ce point et regardent avec envie le nombre étonnant de centenaires qui peuplent les différentes îles d’Okinawa. Les habitants d’Okinawa s’accordent à dire que cela est dû à la tradition de continuer à travailler jusqu’à un âge élevé.
Misako Oshiro est née en 1936 à Osaka (elle n’est donc pas native d’Okinawa mais a grandi à Nago, sur Okinawa). Elle est célébrée comme la plus grande chanteuse et musicienne vivante d’Okinawa. Elle se produit régulièrement dans son club Kozakura, et dans d’autres salles encore, entourée d’une cour de jeunes musiciens désireux d’apprendre le sanshin (instrument à cordes semblable au shamisen japonais, mais typique d’Okinawa) et le répertoire de mynio qu’elle interprète.
Cet album est son premier depuis dix ans, un intervalle qu’elle a utilisé pour son autre carrière, celle d’actrice de cinéma (pour Go Takamine et Yuji Nakae entre autres). On y retrouve des mélodies parfois connues (comme le célèbre Tinsagu no Hana, grand classique du crossover, qu’on retrouve interprété par Champloose ou par Ryuichi Sakamoto), jouées en solo, en duos de sanshin ou accompagnées d’un koto ajoutant une touche étrange et originale à ces interprétations très belles et très simples, encadrant sans l’étouffer le phrasé subtil de Misako Oshiro. [retour]
Benoît Deuxant