AFRICAN PEARLS 1: CONGO. RUMBA ON THE RIVER
Anthologie double CD consacrée à la rumba congolaise. Il est conseillé d’en avoir toujours à portée de main. Enregistrements des années 50 et 60. Savoureux jaillissement créatif. Solos de
guitares magiques, saoulant. Cet élan festif et inventif était-il porté par une époque où l’Afrique, se libérant, croyait en son avenir ? Est-ce encore imaginable aujourd’hui ? Reste-t-il une force capable d’engendrer cette musique d’indépendance ? Independance Cha Cha. Musique qui libère une joie sans partage et, petit à petit, se mêle d’une étrange tristesse. Un blues africain tenace, profond. Est-ce dû aux propriétés intrinsèques de la musique ou est-ce le contraste qu’elle offre avec l’état désastreux de la République du Congo ? Regarder aussi Congo River qui vient de sortir en DVD.
LECTURE
Patrick Vauday, « La décolonisation du tableau ». (Art Politique au XIXème siècle. Delacroix, Gauguin, Monet.), Seuil, La couleur des idées. 2006, 170 pages
Très belle analyse de trois peintres. C’est simple, concis, explicite. Cela pourrait faire écho à l’exposition temporaire du Musée des Arts Premiers, justement centrée sur les représentations coloniales de l’Autre. En pleine période du colonialisme français et des clichés orientalistes, Delacroix peint « Femmes d’Alger dans leur appartement » et « Femmes d’Alger dans leur intérieur ». Si, à première vue, la filiation avec les images d’Epinal de la femme orientale semble prédominer, l’analyse approfondie met en évidence une autre atmosphère, un autre dispositif, l’émergence d’un autre regard et donc d’une prise de conscience. Dans cette œuvre de Delacroix, quelque chose, dans la représentation, dans le regard ressemble à une mise en question du colonialisme… Gauguin, lui, se situera dans un processus d’échange équitable avec l’Autre, il ira apprendre, « sous forme d’emprunt à des arts non européens d’éléments stylistiques qui permirent la contestation de l’héritage artistique de la Renaissance et de la Grèce antique. » Quant à Monet, « il trouve dans l’estampe japonaise une forme nouvelle de rapport à l’espace, d’entrer en résonance avec l’autre. » Stimulant.
Gore Vidal, « Palimpseste. Mémoires », Galaade Editions, 2006, 637 pages
J’ai lu en été deux romans de Gore Vidal. La tentation était grande de lire ses mémoires. Il raconte le cercle de ses idées formatrices et des champs sociaux dans lesquels il se retrouve ramer, au cours de ses 29 premières années. Elégante analyse stylistique du « comment le travaillent » les thématiques identitaires qui se recouvrent, se chevauchent, s’entrechoquent, à la manière de plaques tectoniques. L’homosexualité dans la société américaine est un fil conducteur essentiel. Mais aussi le choix d’un destin, littéraire, mondain ou politique (l’homme était doué, planté dans un environnement favorable qui pouvait lui ouvrir plusieurs portes). Gore Vidal, par ses relations, est un observateur exceptionnel de l’Amérique. Proche des Kennedy, des Clinton, d’Anaïs Nin, de Tennesse Williams, Truman Capote… Il a aussi pénétré les rouages d’Hollywood. Selon un plan bien établi : y gagner assez d’argent (acteurs, écritures de scénarios…) pour se consacrer à sa littérature. Un plan parfaitement abouti. En ceci, il illustre parfaitement l’étude sociologique de Bernard Lahire consacrée à la Condition littéraire…
Christa Wolf, « Médée », Stock, 2001, 289 pages
Le mythe de Médée revu et corrigé par l’écrivaine est-allemande. Les mythes et leurs exégètes sont souvent confinés dans des visions masculines. Le regard ici est profondément féminin. On sent qu’elle s’est baladée mentalement dans tous les recoins de cette histoire antique. Pour la vivre. Et forcément elle y met de sa vie et des éléments de la situation de l’Allemagne… Style sensible et costaud, courageux. Je ne sais pas, j’y sens une certaine douleur retenue, une gravité classique.
Bernard Lahire, « La condition littéraire », La Découverte, 2006, 620 pages
Nouvelle étude monumentale de Bernard Lahire qui continue son travail d’explication de la société actuelle hautement différenciée. Bernard Lahire ne procède à aucune simplification, au contraire il rend compte de la complexité, il fait évoluer les appareils conceptuels pour les adapter à cette complexité. C’est bien cela qui rend possible une compréhension et donc une action. Son attitude à l’égard de Bourdieu est remarquable : reconnaissance de la dette mais analyse critique de l’héritage, argumentation rigoureuse sur les faiblesses et propositions scientifiques de solutions.
En analysant la condition littéraire, Bernard Lahire ne s’enferme pas dans les jeux et enjeux strictement littéraires. En montrant que la grande majorité des écrivains ne vivent pas de leur plume, sont contraints d’exercer un second métier, il détermine ainsi un terrain d’analyse « d’hommes pluriels », ce que nous sommes tous à des échelles différentes, et de plus en plus.
Comme toujours avec Bernard Lahire la part de travail théorique repose sur une investigation de terrain copieuse et détaillée. La méthode d’enquête est bien explicitée, tout est carte sur table. Il ne s’agit pas d’asseoir des prises de position fracassantes sur quelques échantillons de déclarations entendues dans des soirées mondaines… comme n’hésitent pas à faire certains « sociologues » (Nathalie Heinich).
La dépendance à un autre métier pour subsister est analysée selon ses deux versants : cela peut être vécu comme une aliénation ou une condition d’indépendance. L’écrivain étant soumis au seul marché, à un seul système financeur, cela influe sur les styles d’écriture. L’écrivain qui veut développer son style en toute indépendance préfèrera ne pas chercher à entrer dans les conditions qui rendent possibles de vivre de sa plume. Ainsi, « écrivain professionnel » peut désigner celui qui parvient à assurer son pain par sa plume, ou au contraire celui qui sera le mieux placé dans un classement de qualité littéraire intrinsèque…
Tout cela est bien entendu décrit minutieusement, tantôt avec regard macro, tantôt micro. Indispensable pour nourrir une réflexion « juste » sur la situation de notre champ économico-culturel contemporain.
Je ne résiste pas à placer cette citation de Baudelaire à propos d’Edgar Alan Poe, que je suis heureux d’avoir retrouvée. Cette citation s’exprime sur les conditions de vie difficile de Poe :
« Un autre, qui a dirigé des journaux et des revues, un ami du poète, avoue qu’il était difficile de l’employer et qu’on était obligé de le payer moins que d’autres, parce qu’il écrivait dans un style trop au-dessus du vulgaire. Quelle odeur de magasin ! comme disait Joseph de Maistre. […] Car Edgar Poe était un homme embarrassant ; outre qu’il écrivait avec une fastidieuse difficulté et dans un style trop au-dessus du niveau intellectuel commun pour qu’on pût le payer cher, il était toujours plongé dans des embarras d’argent, et souvent lui et sa femme malade manquaient des choses les plus nécessaires à la vie »…
(Je n’ai lu que les 140 premières pages…)
ARCHITECTURE
Musée des Arts Premiers, Quai Branly à Paris…
Magnifique Musée, un régal pour les yeux. On s’amuserait des heures à le prendre en photo, jouant des perspectives, sa courbe, ses volumes colorés, des effets d’ombre, les lumières… Mais au fait, ce qu’il y a dedans ? Le musée en jette aussi par sa scénographie. Le mouvement de la rampe d’accès intérieure, comme un serpent ou une rivière, est majestueux. La débauche de « talus » couverts de cuir dans lesquels on se niche pour regarder quelques écrans (accessoires). Par contre, dès que vous quittez cet espace dans lequel le musée se scénographie lui-même, vous êtes compressé entre les vitrines, ça se bouscule. Dès lors, c’est clair : prenons le volume global, regardons la part réservée pour valoriser les collections, c’est la part la moins généreuse. Un musée qui en jetât moins, avec plus de respirations entre les vitrines, avec des espaces pour se reposer et méditer entre les pièces de chaque continent, pour mieux absorber les atmosphères qui se dégagent de ces œuvres au lieu d’être habité par un bâtiment nombriliste, n’aurait-ce pas été préférable ? Pas de musée sans sa boutique : pas plus que le musée, celle-ci ne semble se mettre au service d’une idée généreuse en lien avec l’art qui en justifie la présence. Certains objets artisanaux sont vendus beaucoup plus cher que dans d’autres espaces parisiens, et si vous pouvez comparer les prix avec ceux affichés en Afrique… Pourquoi ne pas avoir développer là un magasin d’artisanat moderne sur le principe du commerce équitable ?
Ce qui est exposé dans le musée est remarquable, conserve une capacité intacte à bouleverser et éblouir.
LA TABLE
Le Comptoir – Relais Saint-Germain – 9, Carrefour de l’Odéon, 6e, Métro Odéon.
Un lieu enchanteur. Bistrot animé, au look ancien plus ou moins Art Déco. Petites tables serrées qui débordent sur le trottoir. Ambiance animée. Bon enfant. Cuisine de terroir bien ficelée, bien enlevée. Au lieu d’alourdir, de tenir trop au corps, elle a ce je ne sais quoi qui rend léger. Le bonheur de manger ? Le «pressé de foie gras» où l’on découvre le voisinage réussi de l’artichaut et du foie gras. Extraordinaire terrine maison avec ses tartines et ses lardons. Cochonailles, boudin réussi, petit salé aux lentilles… Petits vins de terroir exaltants ! La glace au caramel et à la fleur de sel vaut, à elle seule le détour. (Il y a une autre glace au chocolat et au piment d’espelette.) En soirée, paraît-il, nappes blanches et prix à la hausse pour un menu dégustation…
TRÈS GROS BLUES
Dans Le Monde du 23 octobre, concernant l’état actuel du marché du DVD et du téléchargement de films : principale constatation, c’est le cinéma d’auteur qui trinque. L’Arenberg est en difficulté, crée une société de cinéphiles pour collecter des fonds. Comme Libération qui ne se porte pas mieux… Décidément, la culture se porte mal.
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