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Pointculture_cms | critique

JUHA

publié le

Drame naturaliste en noir et blanc. Une brave jeune femme, un vieil époux boiteux mais aimant, et un vil citadin suborneur : triangle amoureux, danger !

 

Drame naturaliste en noir et blanc. Une brave jeune femme, un vieil époux boiteux mais aimant, et un vil citadin suborneur : triangle amoureux, danger !
Le bonheur bucolique à la campagne. Un homme, une femme : des paysans. Le mari, un lourdaud, se soûle, sa femme s'ennuie (Madame Bovary, vous voici !). Survient, guidé par on ne sait quel démon, un homme de la ville dans sa belle voiture sport décapotable. En panne, il s'arrête devant la ferme et séduit Marja, la délicieusement moche fermière. Les hommes boivent et rotent (le film est presque muet), dans une ambiance de saine camaraderie. Dans la bergerie, le citadin étreint Marja (c'est du Bergmann !) et lui demande de s'enfuir : elle refuse ! Il part, mais comme on s'en doute, il reviendra. À la campagne, la vie continue au fil de la généreuse nature et de ses plaisirs simples rythmés par les saisons, l'élevage des moutons et la plantation de choux qui rapportera un peu d'argent pour faire bouillir la marmite. Marja devient mélancolique, néglige son travail...   Elle lit des revues de mode, se maquille, fume et jette ses mégots par terre, écoute du rock à la radio, fait chambre à part... Lentement le temps passe. L'homme à la voiture revient avec des cadeaux. Ils vont danser à la fête du village. Le mari se soûle. Elle le quitte. Son amant la possède sur un plaid dans un paysage disons... biblique. Le fermier découvre l'absence de son épouse. Il pleure. Mise au tapin et forcée par les clients du souteneur, Marja devient mère. Prise de nostalgie, n'arrivant pas à s'enfuir, elle pense au bonheur passé. Elle pleure. Le mari consumé de douleur part à sa recherche. Il la libère après avoir tué tout le monde, comme dans une série B américaine. Grièvement blessé, il meurt misérablement sur une décharge publique (c'est du Stroheim !). Marja rejoint la campagne, libre, son enfant dans les bras.
Une des nombreuses adaptations du roman Juha ( ou L'Écume des rapides 1911 ) de Juhani Aho (écrivain phare de la littérature finlandaise), tournée en noir et blanc et muette, plutôt «aphone», puisqu 'à certains moments le son accompagne l'image. Le film brille par son naturalisme, son anachronisme (il semble avoir été tourné à la fin des années vingt), et ses plans élégiaques (« la saveur d'un film dépend de son découpage... »). La façon dont Kaurismäki traite son scénario fait penser à l'Aurore de Murnau et se rattache au style des cinéastes de l'ère du muet (Dryer, Féjos, von Stroheim, Sjöström). C'est une parabole chargée de sens, articulée autour du corps du cinéma muet et qui nous renvoie à Bresson et Bergman. La musique est signée Anssi Tikanmäki, complice des frères Kaurismäki, par ailleurs auteur de partitions d'accompagnement pour divers classiques du muet (Kouleshov, Eisenstein, Feuillade, Stroheim, Vertov, Murnau). D'un hommage à un cinéma mort des progrès de la technique, Kaurismäki voulait faire son testament artistique et mettre fin à sa carrière, sous-entendu : « le muet a tout inventé du langage cinématographique, je n'irai jamais plus loin ! ». Tourné en 1999, il faudra attendre L'Homme sans passé (2002) , pour que le cinéaste reprenne le chemin de la création.


(Pierre Coppée)

 

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