Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

MONTAGNE SACRÉE (LA)

publié le

La Montagne Sacrée est le troisième long métrage d’Alejandro Jodorowsky, sorti en 1973, grâce à des fonds dégagés par John Lennon et le producteur des Beatles Allen Klein. John Lennon avait craqué pour le film précédent de Jodorowsky, El Topo, au […]

La Montagne Sacrée est le troisième long métrage d’Alejandro Jodorowsky, sorti en 1973, grâce à des fonds dégagés par John Lennon et le producteur des Beatles Allen Klein. John Lennon avait craqué pour le film précédent de Jodorowsky, El Topo, au point de convaincre ses amis d’investir dans la suite. El Topo racontait la quête métaphysique d’un pistolero, mis au défi par sa maîtresse de tuer les quatre Grands Maîtres du désert. La Montagne Sacrée en remettra une couche en présentant la quête de sept personnages à la recherche des neuf maîtres immortels de la Montagne Sacrée, auxquels ils doivent arracher le secret de la vie éternelle. Plus qu’une simple surenchère, le choix des nombres est bien évidemment un vœu délibéré, correspondant aux arcanes numérologiques des nombreuses traditions mystiques auxquelles se réfère cette fois encore Jodorowsky. Fidèle à ses habitudes syncrétiques et ses tendances au melting-pot spirituel, le réalisateur à rempli à ras-bord son film de chassé-croisés entre provocations sacrilèges et exaltation mystique, alternant les attaques contre le catholicisme pieux de son Mexique natal, et les allégories symbolistes de toute une série de traditions alternatives. On raconte que les acteurs principaux du film ont passé, à son instigation, trois mois à pratiquer divers exercices spirituels, sous la direction d’Oscar Ichazo de l’Institut Arica. L’«entraînement» Arica comporte des exercices Zen, Sufi et Yoga, ainsi que des concepts éclectiques tirés de la Kabbale, du I-Ching et des enseignements de Gurdjieff. La troupe aurait ensuite passé un mois de vie communautaire dans la maison de Jodorowsky avant de commencer le tournage. Jodorowsky poursuivra ce rôle de gourou à l’écran, jouant dans le film le rôle d’un maître spirituel auto-proclamé appelé l’Alchimiste. C’est lui qui va transmuter les divers candidats à l’immortalité, les détachant progressivement de leurs errances passées, pour les lancer, après diverses épreuves initiatiques, à l’assaut de la montagne. Ils devront d’abord se défaire de leur attaches mortelles: leur argent, leurs vêtements, leur image. Les sept candidats, auquel s’ajoute le personnage du «voleur», sont chacun connectés à des configurations astrologiques, ainsi qu’à une figure de tarot, une récurrence dans tout le film, présenté comme une clé de compréhension de celui-ci. Chacun correspond de plus à un caractère, à un archétype, reprenant là encore les principes du tarot, détournant les cartes du jeu pour les remplacer par des personnages contemporains. Les Impératrices, Papes, Chevaliers et autres Diables sont remplacés par les puissants du monde moderne : un politicien, un marchand d’armes, le chef de la Police, un architecte, un marchant d’Art, un fabricant de parfum et un fabriquant de jouets.

Sorti en 1973, le film deviendra rapidement un film culte, malgré, ou à cause de, son manque de distribution. Il établira un grand nombre des principes fondateurs que suivra Jodorowsky dans sa carrière de scénariste de bandes dessinées. La série des Incals, dessinée par Moebius, qui débutera en 1981, reprendra le principe de la quête mystique. Elle mettra en scène une série de sept personnages archétypiques, le Méta-baron, guerrier et chasseur de prime, Tanatah, gardienne de l'incal noir, Animah, gardienne de l'Incal lumière, Kill tête de chien, Solune l’androgyne, Deepo la mouette-à-béton, et l’anti-héros John Difool, détective minable de classe B,  lancés dans une tentative in extremis pour sauver le monde de la Grande Ténèbre qui la menace. Les parallèles sont nombreux entre la bande dessinée et le film, poursuivant le mysticisme œcuménique de Jodorowsky et ses obsessions récurrentes: sadomasochisme, quête identitaire, rites ancestraux, délires freudiens, anges et démons intérieurs, ambiguïtés sexuelles, etc. Le sérieux un peu ampoulé, et quelquefois inquiétant, avec lequel y sont abordé mythologies alchimiques et investigations shamaniques y côtoie les passages parodiques frôlant le slapstick. La quête de la pureté y est confrontée à un sordide quotidien, renforcé par la bassesse d’une partie des personnages, de l’humanité consumériste, amorphe devant sa télévision aux autorités aristocratiques, décadentes et corrompues, et jusqu’à l’anti-héros Difool, incorrigible lâche et mécréant. Axée elle-aussi sur une recherche du dépassement de soi, de transcendance verticale, la bande dessinée ajoute au répertoire de la Montagne Sacrée l’obtention de pouvoirs extraordinaires, super-pouvoirs psychiques qui permettront la transmutation des personnages eux-mêmes, ici encore se défaisant de leur triviale personnalité civile pour cheminer vers une angélisation progressive. Assez bizarrement, le film et la série se concluent tous deux sur une entourloupe, un bouclage en looping qu’on ne peut révéler ici sans quelque peu gâcher le suspense. Tous deux mettent en scène un riche univers personnel, surréaliste et foisonnant, où Jodorowsky semble se perdre avec ravissement, en pâmoison devant le labyrinthe qu’il a lui-même construit de toutes pièces.

Benoît Deuxant

 

 

 

 

 

Classé dans