ALL MUSIC HAS COME TO AN END
Les rythmes proprement dits sont cette fois construits autour d’un 4/4 rigoureux mais semblent perpétuellement déséquilibrés, comme s’ils ne pouvaient s’empêcher de tomber en avant, de se précipiter frénétiquement à la poursuite d’un hypothétique niveau supérieur. Très instable, le disque est pourtant paramétré de manière stricte, avec des temps très marqués et des accents très appuyés. Là où son prédécesseur expérimentait avec des métriques flottantes, des arythmies en phase avec son atonalité, cet album est totalement dans la lignée du style minimal et brutaliste d’un Jeff Mills ou d’un Robert Hood pour son aspect sévèrement rectiligne. Mais ce n’est vrai qu’en surface, derrière les rythmiques métronomiques se profilent des syncopes, des déviations, des virages dangereux où Vogel ajoute ici une touche latine (« Don’t Take More »), là des accélérations et des dérapages (« Sentinel »), ou encore des polyrythmies déconcertantes (« Plastered Cracks »), prémisses de celles qu’il utilisera au sein de Super Collider (son projet avec Jamie Lidell). Toujours à cheval sur deux visions de la musique électronique, l’album est paradoxalement irrésistible et indansable. Tout est fait dirait-on pour piéger les habitués du dancefloor, avec des arrêts brusques, des lignes rythmiques multiples et toujours un peu trop rapides ou un peu trop lentes par rapport à la norme. Ses programmations de sons, elles aussi très inhabituelles dans la musique électronique d’alors, sont plus proches des sonorités rugueuses des pionniers de l’électronique que des claviers mélodieux de son temps, et font toujours un usage abondant des systèmes aléatoires, et exploitent les possibilités dissonantes du déphasage, des ring-modulators, du detuning, etc. déjà explorées dans Specific Momentic. Ces textures, comme celles des percussions variées qu’il utilise l’éloignent radicalement de l’orthodoxie techno à laquelle il semble pourtant appartenir. Tout au long de sa carrière, Cristian Vogel continuera de surprendre, de se décaler perpétuellement et de tromper les attentes du public. Sans chercher la complexité pour son propre compte, il se refuse à donner des réponses trop faciles, des structures trop évidentes à ces compositions pourtant simples (dans le bon sens du terme), et privilégie la surprise, l’inattendu. Il continuera à mener de front deux carrières musicales, visant les quelques pistes de danses assez ouvertes d’esprit pour ses compositions tarabiscotées comme le monde de l’art, notamment en collaboration avec le chorégraphe suisse Gilles Jobin.
Benoit Deuxant