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Pointculture_cms | critique

UNCOVERED CORRESPONDENCE [A POSTCARD FROM JASLO]

publié le

AMM, Uncovered Correspondance, a Postcard from Jasko , Matchlesse Recording78

 

John Tilbury, pianiste anglais né en 1936, est de formation classique et interprète réputé de Morton Feldman et grand connaisseur de l’œuvre de Samuel Beckett. L’influence de ce dernier sur les textures narratives pianistiquesque le musicien expérimente (soliloques de clavier) est incontestable et représentative de la manière dont l’œuvre d’un auteur continue à vivre sous d’autres formes et espèces. Tilbury s’écarte progressivement du répertoire classique – on peut parler aussi d’élargissement plutôt que d’écart – et se rapproche des discours musicaux tentés par l’aléatoire, c’est-à-dire par tout ce qui, du non musical, vient nourrir le musical. Eddie Prévost, percussionniste anglais né en 1942, batteur de jazz, se sent à l’étroit dans la peau conventionnelle de l’improvisation jazzistique et glisse vers des expériences situées du côté des musiques savantes où la formalisation de l’imprévu musical cherche d’autres voies créatives. Ils se rencontrent inévitablement et créent avec Keith Rowe, une structure de réflexion et création musicale, AMM. Initiales devenues mythiques. Une des clés de voûte de leurs convergences est le travail du compositeur Cornélius Cardew dont les partitions graphiques dessinent une nouvelle économique et politique musicale. AMM est un ensemble laboratoire, mobile, qui accueille d’autres artistes en résidence (et peut fonctionner en duo plutôt qu’en trio). Ainsi, le compositeur Christian Wolff s’est investi durant un an aux côtés de John Tilbury, Keith Rowe et Eddie Prévost (dans leur contexte et leurs relations). C’est dire si la complicité entre Tilbury et Prévost rend audible du long terme et de la profondeur musicale! Rien que ça, entendre cette complicité, cette entente sensible et intelligente, dans une musique du discontinu et de l’imprévisible, lisse et rugueuse, est un enchantement. Des phrases musicales fluides et retorses, agiles et handicapées, procédant par monosyllabes soniques. Une apparente pauvreté de vocabulaire compensée par la richesse des agencements – rythme, série, silences, vitesse. Et surtout par cette impression que les mains font parler – y compris grâce aux notes mutiques – la matière complète du piano. Des sons isolés de mélancolie. Des tirades amputées. Des chapelets, des amas équilibristes de notes, des concrétions d’ivoire, des frictions, des échos, des échappées harmoniques… Le percussionniste frotte et griffe du métal, il développe des entités continues, – brèves ou longues, pointues ou grasses, réduites ou amples – résonnantes, aux bords indéfinis, des espaces-temps striés, précipités ou encore frappés par les multiples variantes de goutte-à-goutte (intensités, durées, vers le haut, le bas, la gauche ou la droite, en spirale, obliques…). Cela fonctionne en réactions en chaînes qui suivent bien une direction – du début à la fin du paragraphe on sent une poussée prédominante –, mais rendent possible l’écoute multidirectionnelle. Ces «morceaux de musique», à la limite, pourraient s’écouter à partir de n’importe quel moment, en partant du milieu ou en démarrant d’un segment presque détaché, au deuxième tiers et, de là, rayonner, appréhender le tout, le défilement, la ramification des flux, écouter la circulation de sève dans le rhizome, découvrir un récit musical multilingue. Un langage qui se réinvente avec virtuosité sur le fil de sa matière instable, aléatoire.

 

Pierre Hemptinne

 

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