RETOUR (LE)
Ce titre contient en réalité le début et la fin du film :
1. La réapparition soudaine et inattendue d’un père au sein d’une famille où vivent deux jeunes garçons et la reprise d’une éducation paternelle qui, durant les quelques jours où elle s’exercera, portera l’empreinte d’une terrible ambiguïté. Celle-ci s’achèvera dans l’accident et le drame.
2. Le retour à la maison (à la raison ?) après un séjour de pêche, qui prendra la forme d’une épreuve initiatique où les enfants « porteront » à jamais le père.
L’éducation est sans doute le domaine où s’exercent le plus grand nombre de mouvements contradictoires, qui constitueront plus tard une transmission dont il faudra (ré-)concilier les termes pour les rénover. Le retour est une version accélérée de ces contradictions car la présence de ce père bienfaiteur-bourreau constitue la terrible réalité de toute transmission, faite d’un nœud serré. Tandis que l’aîné sera porteur d’un pôle de bienveillance (même s’il demeure interrogatif), le cadet sera le pôle de défiance parce que toujours il doutera de l’identité d’un père dont après tout il ne sait pas grand-chose. Le drame final, que nous ne préciserons pas, fera converger ces pôles dans une épreuve cruelle. Au sein d’une nature grandiose, porteuse elle aussi de tous les paradoxes (de beautés et d’étrangetés) ce drame de la transmission dans lequel s’inclus l’énigme du passé du père (comme une ombre posée sur lui) prendra une amplitude constante, terrifiante et fera de ce suspens un véritable conte où le père en proie à une nature intérieure profondément indéterminée éprouve ses enfants. Et le fait que la grande majorité du film se déroule sur une île n’est pas étrangère au fait que les enfants ne pourront attendre d’autres appuis que d’eux-mêmes. Ce père deviendra-t-il l’ogre qui dévore ses propres enfants, leur confiera-t-il le secret qui perpétue la lignée, ou sera-t-il plutôt leur bienfaiteur, un père rude certes mais par véritable nécessité ? La sobre mise en images du film fait ressortir avec plus d’acuité les reliefs d’une confrontation psychique, dans une tonalité russe d’où émerge toujours de l’universel. La séquence finale où tous sont rassemblés (mais dans une présence constituée d’absence) est d’une force symbolique peu commune, belle, dure et terrible mais où tous les enjeux de la vie se révèlent. La présence étonnante des personnages, leur réalité brute fait également de ce film l’un des grands films russes de ces dernières années, ce qui lui a valu le Lion d’Or à Venise en 2003.
Philippe Leclert, médiathécaire de Blois
Espace Cinéma
Un lac, une barque enfoncée dans la vase, des enfants qui plongent d'une
tour... signes, symboles d'une histoire qui va se révéler. Le
père rentré après douze ans d'une absence inexpliquée,
dort, cadré en raccourci anatomique, jumeau du « Christ mort »
du peintre Mantegna. Lumière froide, crépusculaire accompagnant
deux enfants et ce père dans un voyage initiatique au terme duquel ils
reviendront autres. Une île est abordée sous l'averse et le brouillard,
comme l'« Î le des morts», espace de mystères aux ombres
insinuantes portées par les nuages. Le nœud familial se dénoue,
la barque, telle la barque des enfers, s'échoue sur l'autre rive...
Mise en scène au cordeau, parfois un peu appliquée, vues au large
signifiant une immensité où se perdent les personnages, lac aux
vagues métalliques, brouillard comme des voiles mortuaires, plans fixes
collés aux acteurs, mouvements lents de caméra qui laissent le
temps à la pensée. Intemporalité du lieu et de l'action,
incertitude des faits, des existences mêmes. É nigmes comme ce
que cache le père. La certitude n'est pas de ce conte noir, riche en
rimes plastiques, à la grande beauté mentale et visuelle.
Andreï Zviaguintsev est né le 1 er janvier 1964 à Novossibirsk,
Sibérie (Russie). Il devient acteur de théâtre à
Moscou, se retrouve au chômage, réalise des spots publicitaires
et trois épisodes d'une série télévisée.
Ce travail lui fait rencontrer un producteur qui lui permettra de réaliser
son premier long métrage Le Retour , Lion d'Or à la Mostra
de Venise (2003). Il se dit influencé par L'Avventura d'Antonioni,
les films d'Orson Welles, Luchino Visconti, É ric Rohmer et Robert Bresson...
( Pierre Coppée, Charleroi)
Dans cette famille, ils sont quatre : la mère, la grand-mère
et les deux frères. Un jour, le père est là après
dix années d'absence. Il ne revient pas : avant, il n'était
pas là. Maintenant, il est là ! Pas de retrouvailles, pas
de déclaration, pas d'embrassade… juste une présence. Les
enfants ne connaissent pas cet homme qu'ils doivent accepter et appeler « papa »,
ils n'ont qu'une veille photo sur laquelle ils essaient de le reconnaître.
Le lendemain de son arrivée, le père emmène ses fils en
courtes vacances. Les voilà partis sur les routes désertes. La
violence du silence, le vide du non-dit, du non-expliqué. Si l'aîné
est dans la docilité et une certaine forme d'admiration masculine, le
cadet, lui, est dans une expectative teintée de colère qui vire
à la déclaration de guerre, la guerre d'un gamin de dix ans face
à un mur, face à un homme intransigeant et exigeant, d'un gamin
qui n'a pour lui que ce sentiment d'injustice si viscéral chez les enfants.
Un voyage à trois, égrené jour après jour, à
travers les horizons vastes du nord de la Russie en été, dans
cette nature tranquille et langoureuse. Et ce moment terrible où ces
gamins s'approprient enfin cet homme comme père, leur père.
Une luminosité argentée, presque liquide, une musique discrète
et lancinante. Peu de dialogues, mais une langue aux inflexions si musicales,
des plans larges d'une nature indifférente aux hommes. Un regard d'une
grande acuité sur les sentiments humains et l'enfance.
(Éva Debaix, Dépt. Fiction Documentaire)
Utilisant un ressort dramatique maintes fois proposé par le cinéma
(la (ré)apparition inopinée d'un personnage dans un quotidien
donné), Andrei Zviaguintsev arrive cependant à donner à
son film plus de contenance et d'intérêt qu'il n'y laisserait paraître.
Point ici d'effusion de larmes ou de bons sentiments roses bonbon , que du contraire.
Il préfère substituer aux grands discours moralisateurs de simples
regards chargés d'émotions palpables. Emmené par une musique
aussi lancinante qu'inquiétante, servi par une photographie tant fantasmagorique
qu'enivrante, ce film induit le cœur au doute et l'âme à l'angoisse.
Frôlant le fantastique, taquinant l'intrigue quasi-policière, il
arrive à maintenir un mystère entier jusqu'à la dernière
scène. Et pourtant… L'argument est plus simple que ça. Le
réalisateur nous invite à un voyage au pays des souvenirs :
celui de deux enfants qui n'ont comme seule image de leur père qu'une
vieille photo jaunie. Après de longues années d'absence, celui-ci
refait surface; commence alors une quête initiatique, à la recherche
de ce spectre paternel qui leur est inconnu. Des rapports tendus qui unissent
ces trois personnages vont naître des sentiments divers allant du rejet
à la soumission. Et toujours ces ombres bleues du passé qui pèsent,
diffusant dans leur sillage des parfums oppressants.
Une histoire qui se révélera cyclique et qui laissera derrière
elle des questions sans réponse, baignées d'un malaise perceptible.
(Michaël Avenia, Liège)