« Animal » de Cyril Dion : un fil rouge pour demain
Cheminer avec la tête et le cœur
Tandis que Vipulan, un élève français studieux et plutôt urbain, témoigne de sa volonté de comprendre : "J’ai envie de comprendre les mécanismes pour pouvoir trouver des solutions", Bella, une anglaise touchée par le sort des animaux sauvages, audacieuse et un brin misanthrope, raconte son amour pour la nature. Une approche rationnelle et une approche sensible cheminent ensemble. Si tous deux sont très préoccupés par les dégradations environnementales, leur rapport à la nature reste un rapport d’extériorité. C’est cette posture qui est au cœur du film et qui est, pas à pas, subtilement mise à jour pour inviter à une autre vision du monde : un monde fait d’alliances sensibles avec le vivant, tel que le décrit Baptiste Morizot, l’un des invités du film.
Si le procédé est le même que dans Demain (une série de rencontres avec des experts, des acteurs politiques, des penseurs ou des porteurs d’initiatives via l’intercession de personnages dont on suit l’évolution), le propos s’écarte toutefois de la volonté de trouver des solutions et engage une réflexion plus profonde, plus englobante sur notre manière d’habiter le monde. Il ne s’agit pas ici de trouver des solutions à reproduire, ce qui pouvait être l‘attente des jeunes et qui a été celle du réalisateur dans le passé, comme il le confie dans le film.
On ne trouve pas facilement de solutions à reproduire. Il faut collaborer autrement avec le vivant et on ne sait pas encore comment. — Cyril Dion
Si la tâche paraît vaste et insaisissable, le film se situe cependant bien dans le temps de l’urgence. Il montre les impasses stériles, les rouages sclérosés du système politique, les enfermements multiples dans lesquels les pratiques et la pensée sont figées, il ouvre aussi une brèche vivifiante et radicale pour entrevoir une issue : repenser nos modèles et nos gestes à l’aulne d’une vision du monde faite de liens et d’interdépendances et nourrie par le désir de préserver la vie.
Au fond personne n’est dupe, notre système d’exploitation du vivant est indéfendable et nos indicateurs ne sont pas bons. Le PIB pourrait par exemple être remplacé par le bien-être, fondé sur une bonne santé, des liens sociaux et un travail satisfaisants, comme l’explique Eloi Laurent. La santé, placée au cœur des préoccupations, tellement liée à la qualité de l’environnement, pourrait mener à la mise en place de nouvelles politiques.
Il s’agit d’interroger le type « d’après » que nous souhaitons construire. — Cyril Dion
S’extraire de l’enfermement du cynisme
Au sein d’un élevage de lapins, un éleveur paraît bien rude dans sa pratique, il a des gestes un peu secs avec les animaux, des mains qui manipulent sans chaleur, sans attention. Malaise chez les jeunes et les spectateurs. Puis l’éleveur se confie, ce n’est pas ainsi qu’il a commencé… Il s’est laissé enfermé dans un système, doit rembourser, produire, se soumettre. Personne n’a envie de ce modèle pourtant il persiste à contraindre nos pratiques.
Quand les jeunes découvrent les rouages du Parlement européen, ils découvrent le poids des lobbys et celui de la représentativité des citoyens. Cela donne à réfléchir. Mais surtout, la scène dégage un certain cynisme. On assiste à un mauvais film, une représentation dans laquelle des acteurs douteux font de grands gestes et ont de grands mots pour défendre de petits intérêts financiers particuliers. Personne n’est vraiment dupe mais la machine à exploiter continue son œuvre.
Avant cela, le film s‘est arrêté sur une plage en Inde. Des citoyens ramassent les innombrables déchets qui s’étendent à perte de vue sur le sable. Le responsable de l’action précise qu’aujourd’hui, tout le monde sait suffisamment où nous en sommes. Le temps n’est pas tant au partage d’information qu’à l’action : « Relayer l’information sans agir n’est rien. Agir c’est relayer. » Agir c’est aussi sortir de l’enfermement.
Ressentir
Le spectateur est invité à s’interroger mais aussi à ressentir la colère, la peur ou le dégout pour l’horizon annoncé au début du film, mais aussi l’enthousiasme, la joie, l’affection, la sympathie, l’agacement, la révolte, l’émerveillement, l’amour...
Nous voulions que le film fasse passer les spectateurs par toute une gamme d’affects, pour que l’on ressente la douleur et la colère de ce que nous sommes en train de faire subir au monde vivant — Cyril Dion sur France Culture
Cyril Dion prend soin d’interroger régulièrement Bella et Vipulan : « Comment tu te sens ? » comme, dans le même temps, une manière de poser la question au spectateur pour qu’il soit attentif à ses propres émotions. Celles-ci sont importantes, elles nous guident. Le film montre que nous avons besoin des affects que le contact avec le vivant suscite.
L’animal comme fil conducteur
C’est l’ « animal » qui sert de fil pour traverser plusieurs thématiques jusqu’à les englober toutes et conclure le film sur la proposition d’un ré-ensauvagement avec Baptiste Morizot.
Au terme du voyage, il s’agira pour Bella de se défaire d’une posture initiale misanthrope nourrie par la colère et de se percevoir elle-même comme un animal. Pour Vipulan, la biodiversité est, certes importante pour l’humain, mais la beauté du monde, unique dans l’univers, importe pour elle-même.
« Animal » est une invitation à se décentrer pour laisser émerger un autre monde.
Il faudrait se voir comme un animal — Bella
On se doit de protéger la vie — Vipulan
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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