ANTHOLOGIE DU XXE SIÈCLE PAR LA RADIO
Les événements emblématiques du XXe au travers du prisme d’un média né presque en même temps que lui. Dix années et un changement de millénaire plus tard, qu’en reste-t-il ?
L’objet fait valoir une belle longueur de temps qui répond tout à fait à sa vocation anthologique. Six disques couvrant chacun une décennie à l’exception du premier tome audio parcourant à lui seul les quarante premières années du XXe siècle, et qui, par souci de lisibilité, commence ici en 1900 et se termine en 1999. Pour l'anecdote, la première transmission de ce que l'on appelait alors la T.S.F. (acronyme de télégraphe sans fil) a eu lieu pour la France le samedi 25 novembre 1921, une entrée en matière hésitante, voire chevrotante – mais absente de ces six disques - pour un futur média de masse qui doit encore littéralement inventer son langage. Et ce qu'on avait presque oublié tant elles nous semblent familières, ce sont les variations (tons, accents), modulations (élocution posée ou rapide, silences, timbres neutres ou parfois emportés) et syntaxes infiniment variées, de ce langage (le lexique a beaucoup changé en 80 ans), de cette voix humaine "sortant du poste", enfin libérée de ses limitations fondamentales de proximité, glissant progressivement de la solennité « savante » d’une presse parlée vers un idiome original, vecteur d'immédiateté (c’est l’invention du direct) et d'intimité complice (la radio s’adresse à tous en parlant à l’oreille de chacun, surtout depuis l’invention du transistor).
Fruit d’une collaboration inédite entre l’I.N.A. (Institut national de l’audiovisuel, du moins ses archives), Radio France et de l’éditeur spécialisé Frémeaux & Associés, ces 92 extraits restituent un panaché de moments-clés d’une histoire forcément lacunaire (et donc discutable) du siècle dernier, vue de France mais en étroite résonance avec les soubresauts du reste du monde. Si le politique au sens large s’octroie les morceaux de choix de cette anthologie, les évolutions sociétales dont certaines sont toujours au centre des débats (avec la condition de la femme comme fil rouge), la culture (surtout la littérature) et quelques faits marquants indissolublement liés à la mémoire collective figurent aussi en bonne place: l’émotion à peine contenue d’une certaine coupe du monde de football 1998 ou encore les souvenirs mitigés de l’une des premières usagères du métro parisien, 50 ans après sa mise en service en 1900, l’année qui signe l’acte de naissance du XXe siècle !
À la façon d’un zapping dont les images seraient à inventer à mesure que les mots sont libérés, c’est à une sorte « d’arrêt momentané sur parole » - doublé d’un jeu de ping-pong mémoriel avec ses propres souvenirs – même s’ils ne sont pas anciens - que l’auditeur est convié. Sans pub (la réclame comme on disait alors !) pour accaparer son esprit, presque sans musique (si ce n’est quelques hymnes nationaux) pour le distraire, mais avec maintes hésitations pour le laisser respirer (le réflexif « qu’est-ce que vous voulez que je vous dise » de commentateurs pas encore « virtuoses de la communication »), et éléments de décor sonore pour fertiliser son imagination (l’attentat en direct contre Laval et Déat en 1941), celui-ci a tout le loisir du recul nécessaire pour reconstruire « son » XXe siècle : se confronter à la haine pure du discours hitlérien (en allemand) ou à la douleur d’une expulsion de sans-papiers en 1996, compiler les pompeuses tirades du « général » (de Gaulle, l’autre fil rouge, dont un extrait du fameux appel « reconstruit » du 18 juin 40) et le ramener au débit « ultra-radiophonique » de l’allocution d’un Jacques Chirac nouvellement élu, ou encore s’amuser du répondant d’une Mistinguett à un journaliste un peu pataud à propos du baisemain. Autant de petites histoires étroitement imbriquées dans la grande !
Yannick Hustache