AN ENGLAND STORY
Le dubstep continue à faire son marché dans une histoire musicale qui semble inépuisable, y trouvant une lignée musicale extraordinairement riche et durable. Cette histoire est née en grande partie des relations entre l’Angleterre et l’immigration en provenance de la Jamaïque. Des balbutiements de scène musicale calypso évoqués sur d’excellentes anthologies comme « London is the place for me » à la vague actuelle du dubstep, la communauté jamaïcaine a été présente à quasiment toutes les étapes de l’évolution de la musique britannique, y compris auprès de scènes définies comme plutôt «blanches» comme les mods, les punks ou le post-punk. Elle a établi une lignée qui relie les premiers Soundsystems de la fin des années septante au hiphop, à la jungle, à la drums’n bass, au garage, au grime et aujourd’hui au dubstep. C’est cette lignée qu’entend présenter la compilation « An England Story, The Culture of the MC in the UK 1984-2008 ».
Comme l’indique le sous-titre du disque, ce double CD se concentre sur l’aspect vocal de ce continuum. On a déjà beaucoup parlé de l’influence du dub, de ses concepts et de ses techniques, sur la musique actuelle, et de l’importance des sound-systems dans la défense et la diffusion de ces musiques, dans un pays où les seules radios-libres sont exclusivement des radios pirates. On avait encore assez peu retracé l’impact du chant et du patois jamaïcain sur la musique britannique. Si le rap et sa tradition de MC-ing est généralement regardée comme un style typiquement et purement américain, cette anthologie arrive à point nommé pour rappeler les autres traditions qui ont inspiré le genre en Angleterre, et qui ont y insufflé d’autres parfums, influençant le hiphop britannique, le ragga, le grime, le dancehall. Puisant dans la tradition jamaïcaine du toast et du talk-over, cette autre lignée est ce qui donne à ces genres une couleur spécifiquement britannique, et en fait plus qu’une série de dérivés des styles américains. Cette influence des voix et de la langue jamaïcaine, sous forme de samples comme sous forme de vocalistes invités, a accompagné celle des techniques empruntées aux sound-systems jamaïcain: les dubplates, les soundclash, les riddims (bases instrumentales recyclées d’un morceau à l’autre), la basse et la chambre d’écho du dub, etc. Etablissant une chronologie qui irait du fast-chatting de DJs comme Tippa Irie, et traverserait le hiphop de Roots Manuva, la Jungle de General Levy ou Tenor Fly, pour arriver au grime de Wiley au rhyming de Warrior Queen (omniprésente de l’album de The Bug à ceux de Skream ou Ladybug), l’album est une sélection en forme de démonstration. Dans son livre « Energy Flash », Simon Reynolds parle du Dj en tant que selecta, juxtaposant les disques comme les éléments d'une argumentation, rapprochant les genres et les époques pour éduquer son public. « En cela les Djs sont plus proche des critiques que des artistes », ils se « présentent comme des autorités » et « militent pour des causes musicales », « argumentant sur les racines historiques d'un genre, et la direction qu'il doit prendre à l'avenir » ( p463). De la même manière cette anthologie établit des connexions entre des genres musicaux différents pour prouver une thèse, retracer une histoire, celle de l'impact de l'immigration jamaïcaine sur la musique britannique. Défense et illustration, elle raconte une autre histoire, celle de l’intégration progressive de la communauté noire en Angleterre et l’importance de sa contribution à la culture musicale du Royaume-Uni.
Benoit Deuxant