Ateliers urbains, un cinéma collectif aux formes singulières
Sommaire
Ce projet, initié par le Centre vidéo de Bruxelles (CVB), s’inscrit dans la continuité historique de cet atelier de production, dont l’une des missions, des origines jusqu’à nos jours, vise l’émancipation des citoyen·ne·s par l’image (dans les années 1970, par la manipulation de la vidéo « légère »), utilisée comme outil de connaissance de soi, des autres, du monde. Des animateurs/cinéastes donnent une assistance technique et initient les publics (par le biais d’associations ou de comités de quartier) au langage de l’image, à l’écriture filmique, à l’élaboration de contenus, à l’écriture et au développement.
Tout en étant un héritage de ces pratiques, les Ateliers urbains se focalisent sur les rapports qu’entretiennent les citoyen·ne·s avec l’espace urbain, et les invitent à s’interroger sur le(s) territoire(s) qu’ils partagent – ou non – dans différents quartiers de Bruxelles.
« L’urbanisme nous conditionne tous au quotidien, mais les processus d’élaboration de l’aménagement territorial sont très souvent opaques et peu compréhensibles. Laisser ces débats avoir lieu dans des cercles clos et sous un angle hyper technique est une manière de les confisquer pour les laisser dans les seules mains des “experts”. Par contre, être conscient des acteurs et des intérêts en présence, des processus de décisions urbanistiques, les rendre davantage visibles et produire de l’information autour, c’est déjà créer une capacité d’action. » — Gwenaël Breës, in www.mondequibouge.be, 25/02/2013
Si, dans les grandes lignes, les étapes de réalisation de ces ateliers vidéo sont identiques — constitution du groupe, découverte de chacun et construction du collectif, expression de la parole individuelle et collective, traduction en langage audiovisuel, diffusion —, les films et leurs contenus — étonnants, sérieux, ludiques, politiques ou poétiques — sont très divers. Plusieurs éléments déterminent le processus et le résultat final : le lieu d’implantation (des collectifs d’habitants ou associations de quartier à l’origine d’une demande auprès du CVB), les participants eux-mêmes (leur disponibilité et leur investissement), les coordinateur·rice·s (la plupart du temps, iels sont minimum deux), la durée de tournage (qui peut aller de six mois à un an).
Les formes narratives et l’aspect visuel, totalement libres, varient d’un film à l’autre ou peuvent quelquefois varier au sein d’un même film. Certains nous apparaissent dès lors comme des objets hybrides, faits de tous les matériaux et de toutes les idées dont se sont emparés les protagonistes, acteurs, participants, réalisateurs… pour faire entendre leurs voix singulières et collective : des micro-fictions se mêlent à des scènes documentaires – ou documentées –, des séquences de films de parole laissent place à des moments de cinéma documentaire contemplatif, des « films de famille » se transforment en films d’animation, etc. Libres, ces objets audiovisuels le sont jusqu’à l’absence de formatage au niveau de la durée. Du court au long métrage, le résultat final du projet prend le temps qu’il faut, sans contrainte.
Flagey (2010 - 63 min)
De très nombreuses trouvailles sont déjà présentes dans le premier opus des Ateliers urbains, Flagey (2010), qui pourrait apparaître comme un manifeste pour la suite des films. Dès les premières minutes, le ton est donné : un petit rappel historique nous évoque — plans, gravures, photos et animations à l’appui — les modifications urbanistiques au cours des derniers siècles et l’édification de la place. La voix off s’interrompt…
- « C’était bien ?... T’aimes pas !
- Mmh…
- Mais vous faites toujours des drôles de têtes alors moi je sais pas !
- Moi, je regarde même pas… lis le texte… vas-y… »
Ce qui aurait pu être jeté aux oubliettes dans un film « conventionnel » est, au contraire, gardé au montage comme une trace précieuse de sa « fabrique ». Cette interruption inopinée vient « casser » une lecture de l’histoire communale certes un peu scolaire mais nécessaire pour identifier les lieux et nous amener à l’un des enjeux du film : comment, aujourd’hui, les habitants du quartier se réapproprient-ils la place nouvellement réaménagée (après six ans de travaux, de contestations juridiques et de revendications citoyennes sur les procédures de désignation de marché à Bruxelles) ?
Une fois le « terrain de jeu » délimité, la séquence qui suit fait place à l’imaginaire, aux ressentis. L’un des participants (et coréalisateurs de l’atelier) dessine et commente sa « carte mentale » de la place Flagey. Le dispositif alors mis en place (caméra verticale, prises de vues accélérées, image par image) nous montre « sa » représentation du territoire, en train de se réaliser sous nos yeux.
L’usage des cartes mentales comme technique d’animation était privilégié dans les premiers Ateliers urbains. Après une discussion portant sur les usages et la perception de la ville (activités, déplacements, points de repère, quartiers connus ou inconnus, délimitation des territoires, etc.), les participant·e·s étaient invité·e·s à dessiner la ville (selon leurs perceptions).
« C’est autour de ces “cartes mentales” que les participants se présentent et se rencontrent. Et c’est à partir de ce premier échange qu’émergent des questions, des problématiques et des sujets qui font ensuite l’objet d’un travail collectif avec la caméra. » — Note du livret accompagnant l’édition du DVD Ateliers urbains #1 Flagey #2 Le Grand Nord
Ces cartes mentales ont sans nul doute permis de faire éclore des imaginaires, de la poésie, et (dé)montrer des réalités vécues par chacun·e, peu ou mal connues par d’autres (les « frontières invisibles » d’une ville diverse et cosmopolite comme Bruxelles, par exemple, dans laquelle beaucoup de gens « se croisent » mais ne « se rencontrent » pas).
Puis, les séquences se suivent, composant une mosaïque de perçus et d’aperçus de la place Flagey et de ses habitants : mise en scène des participants, images couleurs ou noir et blanc, micros-trottoirs, animations en stop motion, etc. On ne sait de quoi sera faite la prochaine séquence…
Si ce film composite lorgne quelquefois du côté du cinéma expérimental, il n’en va pas de même pour tous les Ateliers urbains qui, selon les sensibilités ou problématiques envisagées par quartiers (sous l’impulsion des comités ou associations), nous font découvrir d’autres univers, d’autres expressions citoyennes, riches et sans limites.