Ateliers urbains #2 - Le Grand Nord (2011 - 66 min)
Bordé par le canal de Willebroeck, ancien cœur ouvrier et industriel de Bruxelles, coupé par la jonction ferroviaire Nord-Midi, mutilé par les projets inachevés du « Plan Manhattan », le quartier s’articule autour de Bruxelles-Nord (gare du Nord) d’où sortent des dizaines de milliers de navetteurs pour venir travailler dans ses tours de bureaux.
Le soir venu, ces grandes tours du « quartier des affaires » sont vidées de leurs employés : l’endroit est désert, presque inhumain. Ce territoire est une espèce d’incohérence urbanistique, avec des terrains vagues çà et là, et des rues où il n’y a rien. Ces artères existent encore mais donnent sur des arrières de bureaux. Dans ce coin-là, on ne vit pas, on travaille. Pourtant, ce territoire compte aussi des logements, de l’autre côté de la gare, le Nord étant resté un quartier populaire et d’immigration.
Le jour, bien que le quartier soit animé et traversé par de très nombreuses personnes – habitants du coin ou voisins proches – celles-ci ne se rencontrent pas ; comme si, en dehors de leurs communautés respectives, le quartier Nord n'était qu'un lieu de passage. Le journaliste Mehmet Koksal esquisse quelques particularismes culturels des populations marocaines et turques, qui ne communiquent pas entre elles malgré une religion commune, et pointe l’absence de référents forts d’une nation ou d’un territoire (à travers les médias ou le système éducatif), qui permette à ces personnes de s’identifier ou d’être fières de leur identification belge ou bruxelloise ou celle du quartier Nord. Et puis il y a aussi des Belges, un peu perdus avec le temps qui a passé, et qui ont vu quasiment tous leurs repères, leurs habitudes ou leurs loisirs progressivement disparaître : des petits commerces, des cafés, des restaurants…
Si les trouvailles filmiques sont nombreuses, l’approche de ce second épisode est moins « ludique » (et expérimentale) que celle adoptée dans Flagey. Le résultat s’apparente davantage à un film à caractère sociologique qui s’interroge sur les errements urbanistiques, toujours en questionnement après tant d’années, dont l’impact se fait ressentir, encore aujourd'hui, parmi toutes les personnes qui y vivent ou qui s'y aventurent.
Le quartier fut entièrement détruit dans les années 1960 pour y ériger le « Plan Manhattan », soutenu par le promoteur Charly De Pauw et le Groupe Structures. Certains de leurs projets étaient délirants comme ce croisement autoroutier (des autoroutes à quatre bandes, plus une latérale dans chaque sens de la circulation !) qui aurait dû (dé)figurer dans le centre de Bruxelles.
Durant les années 1960 et 1970, les promoteurs ont délogé environ 15.000 familles pour démolir les habitations et construire de grandes tours du fameux « quartier des affaires », dont les 4/5 sont en réalité occupés par la fonction publique. Il était alors prévu qu’elles le soient par le secteur privé, à l’image de New York… Ces promoteurs se sont enrichis en faisant payer à la fonction publique des biens immobiliers ; autrement dit, comme l’exprime Guido Vanderhulst (1940-2019), initiateur, conservateur et directeur de La Fonderie (Musée bruxellois de l’industrie et du travail) : « il s’agit purement de subvention à la promotion immobilière. Pour moi, c’est criminel d’avoir fait un truc pareil. »
La dernière partie du film laisse place à une interrogation et un pari sur l’avenir : des citoyennes et citoyens – amèr·e·s pour certain·e·s –témoignent de leur vision du territoire et constatent le déplacement ou la stagnation des quartiers populaires. La survie dépend de ses habitants – il y a beaucoup de vie, plein de choses qui s’y passent et plein de gens sont un peu perdus – mais est-ce que le quartier donne encore envie de faire ça ?