Des révoltes qui font date #47
20 juillet 1944 // Opération Walkyrie : 20 juillet 1944.
Sommaire
Le contexte
Sans revenir en détails sur un pan entier mais méconnu de l’histoire de l’Allemagne nazie (de 1933 à 1945), il a toujours existé une opposition, civile et militaire organisée, à Adolf Hitler et au Parti national-socialiste des travailleurs allemands (parti nazi ou NSDAP pour Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei en allemand).
Mais les succès diplomatiques initiaux de Hitler (réoccupation de la Rhénanie , accords de Munich, occupation de l’ouest de la Tchécoslovaquie) de 1936 à 1939, puis militaires, de 1939 à fin 1942 (campagnes de Pologne, France & Benelux, Balkans, Russie…), confèrent au « Führer » une forme d’aura d’invincibilité qui tempère l’ardeur de ses opposants et décourage ceux qui désapprouvent les méthodes brutales du régime mais reconnaissent le caractère spectaculaire de ses victoires. Un noyau non négligeable d'officiers supérieurs envisage des actions individuelles mais peu passent réellement à l’action. Et le « petit caporal autrichien » – comme le surnomment (entre eux) les hauts gradés de la Wehrmacht – de jouir d’une insolente baraka, bien aidé par une imprévisibilité comportementale chronique, qui lui font échapper, parfois de façon miraculeuse, à toutes les tentatives d’attentat.
La guerre et ses innombrables massacres – surtout à l’Est, et en particulier l’extermination systématique des Juifs – ainsi que la stagnation progressive de la situation militaire à partir de la seconde moitié de 1942, renforcent le clan des opposants à Hitler ainsi que leur détermination à le supprimer, par tous les moyens. Mais liés par leur serment au Führer (obligatoire depuis 1943), peu encouragés par des alliés, formellement décidés à arracher la capitulation sans condition de l’Axe (Allemagne, Japon, Italie), qui restent sourds à leur tentative de contact, apeurés à l’idée d’une Allemagne livrée aux Soviétiques, les conjurés ne parviennent pas à attirer dans leurs rangs un nombre significatif de généraux et amiraux prestigieux. Au mieux, ils reçoivent l’accord tacite de certains d’entre eux (Rommel fut approché), plutôt inconnus du grand public. Pour la plupart, ils demeurent dans une position attentiste alors que la Gestapo commence à s’intéresser et à agir contre cette opposition organisée qui regroupe également quelques civils et même l’un ou l’autre membre du parti nazi.
Claus von Stauffenberg
C’est l’arrivée d’un véritable héros de guerre au sein des conjurés qui va donner l’impulsion décisive à la mise sur pied de l’opération Walkyrie. Claus von Stauffenberg est un aristocrate catholique, père de famille, aux états de service impeccables, revenu diminué de la bataille de Tunisie (1942-1943) où il a laissé l’œil gauche, la main droite et trois doigts à l'autre main, mais surtout convaincu que la guerre est perdue. Il est aussi profondément horrifié par les politiques d’extermination menées à l'encontre des Juifs et des Slaves.
En 1944, aux côtés des généraux Olbricht et von Tresckow, Stauffenberg détermine quels moyens employer pour se débarrasser d’Hitler. Mais aussi, une fois le dictateur mort, assurer la vacance du pouvoir en menant un coup d’État à l'échelle du Reich. Et l'occasion est presque toute trouvée. Un plan officiel de mobilisation de l’armée de réserve contresigné par Hitler lui-même existe. Du nom de (code) Walkyrie, ce document a pour but de prévenir tout mouvement insurrectionnel intérieur et/ou téléguidé de l’extérieur. Il est ensuite remanié en douce par Olbricht qui inclut un nouveau protocole d’opérations à mener en cas de mort du Führer, et qui inclut la prise de contrôle des ministères, de la radio, du téléphone, l’arrestation des dignitaires du parti (Himmler, Goebbels, Göring) et la neutralisation de la milice du régime, la SS.
Et l'occasion est presque toute trouvée. Un plan officiel de mobilisation de l’armée de réserve contresigné par Hitler lui-même existe. Du nom (de code) Walkyrie, ce document a pour but de prévenir tout mouvement insurrectionnel intérieur et/ou téléguidé de l’extérieur. — Yannick Hustache
En juillet 1944, alors que les Alliés ont définitivement sécurisé leur tête de pont en France et que les Soviétiques s’approchent rapidement des frontières du Reich après le succès foudroyant de l’opération Bagration, von Stauffenberg est affecté à l’état-major du général Fromm qui commande l’armée dite de remplacement. Cette nomination lui donne l’opportunité d’approcher Hitler au Wolfsschanze (la Tanière du Loup ), son quartier général de Prusse-Orientale (aujourd’hui en Pologne). Il participe – armé d’une bombe – aux réunions d’état-major des 07/06, 11/07 et 15/07 en compagnie d’Hitler mais ne la déclenche pas au vu de l’absence d’Himmler, chef de la SS et du manque de coordination des différents maillons de la chaine de l’opération Walkyrie, déclenchée puis annulée par Olbricht pour la journée du 15. Mais cette fois, il n’y a plus de temps à perdre et une ultime réunion des conjurés fixe la date du déclenchement de Walkyrie en date du 20.
20 juillet 1944
Von Stauffenberg prend l’avion pour la Prusse-Orientale en compagnie de son aide de camp. Vers 11h30, il prend part à une réunion préparatoire à celle de l’après-midi à laquelle assistera Hitler.
Mais dès ce moment, la petite mécanique des opérations minutieusement réglée par les conjurés va se gripper sous l’action d’évènements imprévisibles mais aussi en raison d’une relative malchance dans le camp des putschistes.
Von Stauffenberg, qui comptait profiter du temps imparti entre les deux conseils militaires « pour se changer » – en fait actionner les détonateurs de ses deux bombes – est brutalement interrompu dans sa tâche par une estafette d’état-major venue l'avertir d'un appel téléphonique (en fait le coup de fil de l’officier chargé de couper les communications du Wolfsschanze avec le reste du monde une fois l’explosion survenue), et n’a le temps d’en amorcer qu'une seule.
Mais dès ce moment, la petite mécanique des opérations minutieusement réglée par les conjurés va se gripper sous l’action d’évènements imprévisibles mais aussi en raison d’une relative malchance dans le camp des putschistes. — Yannick Hustache
Modifiée et allégée dans son ordre du jour par le Führer lui-même, la réunion est déplacée du QG bunker vers un local en bois plus aéré (et donc moins enclin à propager l’onde de choc de l’explosion) en ce jour de forte chaleur. Et par ailleurs, Göring (n° 2 du régime) et Himmler n’y assistent pas.
Von Stauffenberg, qui quitte la salle sous le prétexte de répondre à nouveau à un coup de fil, ne se rendra jamais compte que la serviette contenant la moitié des explosifs a été déplacée par pur hasard de l’endroit où il avait pris soin de la déposer, au plus près d’Hitler. Un geste qui va sauver miraculeusement la vie du dictateur, et seuls trois des vingt-quatre gradés présents au moment de l’explosion (12h42) y laisseront effectivement la vie.
Von Stauffenberg parvient à quitter les lieux, juste après la déflagration, persuadé du succès de sa mission. Mais Hitler n’est que légèrement blessé et les communications avec l’extérieur ne sont que partiellement coupées.
De retour à Berlin vers 15h30, le chef des conjurés constate que l’ordre d’enclencher Walkyrie n’a pas été donné à cause de cette rumeur qu’Hitler est toujours vivant. Ce n’est qu’à 16h que l’opération débute pour de bon et les arrestations et neutralisations d’officiers de la SS et de la Gestapo débutent en Allemagne et en quelques points de zones occupées (Paris, Prague…) dans une certaine précipitation (et confusion). Et point névralgique essentiel, le central de communications de Berlin, échappe aux conjurés.
Ceux-ci ont pour la plupart rejoint leur quartier-général du Bendlerblock à Berlin. Mais l’amateurisme des putschistes, qui ne sont pas parvenus à intercepter les transmissions, et des télégrammes renouvelés en provenance de la Tanière du Loup qui réaffirment qu’Hitler est en vie, minent les opérations de neutralisation en cours et les premières défections se font immédiatement jour.
En fin de journée, c’est déjà l’hallali. Hitler fait une allocution radio et une partie des troupes aux ordres des rebelles se retournent contre leurs chefs.
Peu avant minuit, la plupart des responsables du coup d’État demeurés au Bendlerblock (dont Stauffenberg) sont sommairement jugés puis passés par les armes, sous l’autorité du général responsable de l’armée de réserve – Frömm – au comportement des plus ambigu durant toute cette affaire (et qui sera lui-même fusillé quelques mois plus tard).
Conséquences
Une grande enquête menée par la Gestapo (la police politique du Reich) aboutit à des centaines d’arrestations dans toutes les zones occupées. Dès le 7 aout s’ouvre à Berlin le procès des principaux accusés. Présidé par l’impitoyable juge Freisler, ce procès n‘est qu’un simulacre de justice expéditive où les militaires qui comparaissent en civil sont humiliés et n’ont guère l’occasion de se défendre. Les coupables sont pendus et leurs familles déportées.
Si les sanctions à l’égard des comploteurs arrêtés sont sévères, les services de propagande du régime dirigés par Goebbels évitent tout de même de lui donner une trop forte publicité et présentent cette conjuration comme l’acte de « quelques isolés ».
La population allemande et les soldats reçurent la nouvelle de l’attentat avec circonspection, voire une certaine défiance. Si l’Allemagne en mauvaise posture de cette seconde partie de 1944 ne soutient pas aveuglément Hitler, beaucoup le voient comme le seul rempart face au communisme soviétique et à ses « alliés occidentaux ».
La tentative ratée d'assassinat aura de fait un effet galvanisant sur les dernières forces vives, tant militaires que civiles, d’un Reich grignoté de toutes parts. Un raidissement perceptible dès septembre 1944. Des haut-gradés aux simples soldats, tous renouvellent leur serment d’allégeance au Führer et adoptent le salut nazi en lieu et place du salut militaire. L’armée et les derniers pans de la société civile sont repris en mains par des cadres du parti.
L’échec de Walkyrie a aussi renforcé chez Hitler le sentiment d’avoir été choisi par la divine providence, de ne plus se fier qu’à son instinct de chef providentiel et de ne plus faire confiance qu’à celles et ceux qui lui font une absolue confiance. Une obstination qui est pour beaucoup dans la poursuite d’une guerre absurde menée jusqu’à l’anéantissement final du IIIème Reich en avril/mai 1945.
Deux films, deux visions ?
Film produit pour la télévision allemande et montré en 2004, Opération Walkyrie (Stauffenberg) de Jo Baier, adopte un point de vue « intérieur », allemand donc, autour de la figure de Claus von Stauffenberg, incarné à l’écran par Sebastian Koch (La Vie des autres, Danish Girl…). Dans un timing serré (le film tient en à peine 1h30), on suit ce catholique patriote de noble extraction passer d’une réelle admiration au Führer – le couple von Stauffenberg parvient à se glisser en face de sa loge lors de l’avant-première d’un opéra à l’aube de la guerre – au doute lors de la campagne de Russie, puis à l’opposition active après ses blessures reçues sur le front de Tunisie. Le film insiste aussi sur le rôle crucial de son aide de camp dans le revirement moral du héros de guerre.
Koch campe un von Stauffenberg imposant (il a la taille requise) et déterminé, un élément essentiel de Walkyrie, mais toujours en proie au doute sur la faisabilité et la légitimité de son acte. L’Opération en elle-même est filmée de façon énergique mais sobre, évitant le spectaculaire et l'héroïsation des « rebelles », et se concentre uniquement sur sa tragique journée du 20/07. Von Stauffenberg n’est présenté qu’à une unique occasion à Hitler, qui ne pipe mot ! La mécanique de prise de pouvoir des conjurés est rapidement enrayée et ceux-ci payent cette tentative de coup d’État de leur vie, et au-devant de leurs pairs qui les ont arrêtés à leur tour. Le film s’attarde, à raison, sur les divisions morales profondes d’une armée allemande au bord de la défaite, mais qui poursuit la lutte dans un aveuglement obstiné et sa foi en un chef mythifié. Quelles qu’en soient les conséquences.
Sorti en salle quatre années plus tard, Walkyrie de Bryan Singer (Usual Suspect, X-Men…) bénéficie d’une demi-heure supplémentaire, de moyens conséquents et du savoir-faire de son réalisateur dans les scènes d’action. Et ça se remarque à l’écran. Il a été tourné pour l’essentiel en Allemagne, mais dans des décors recréés. La langue du film est l’anglais, et le tournage a été émaillé d’une série de couacs et d’accidents, au point que certains journalistes ont parlé de film maudit.
Le rôle de Claus von Stauffenberg est confié à un Tom Cruise (le choix d’un scientologue en lieu et place d’un chrétien fut très critiqué en Allemagne) qui, dès l’entrée du film (le front de Tunisie), clame déjà son opposition viscérale à Hitler. Le film s’attarde davantage sur son quotidien de héros mutilé de guerre – père de famille nombreuse – et sur son rôle déterminant au sein des conjurés, qui sont davantage présentés (à l’exception du général von Tresckow, campé par Kenneth Branagh) comme légèrement timorés dans l’action et peu capables de s’unir et s’organiser à l’échelle du Reich. Le dilemme moral des officiers écartelés entre leur conscience et leur serment de fidélité n’est pas oublié mais prend une place nettement moins centrale que dans la version allemande.
Bryan Singer apporte à Walkyrie sons sens de la reconstitution spectaculaire et de la mise en scène. Le film relate ainsi, dans sa première demi-heure, la tentative ratée, à l’initiative de von Tresckow, de faire exploser une bombe dans l’avion de Hitler, en visite exceptionnelle sur le front Est en 1943. Il s’attarde davantage sur les phases préparatoires du putsch, dont le premier coup de maître de von Stauffenberg, qui fait signer à Hitler (et qui est montré deux fois en présence du dictateur à Rastenburg) un protocole de sécurité (Walkyrie) qui permettra aux insurgés de prendre le contrôle des nœuds névralgiques de Berlin et à procéder à des arrestations en toute légalité. Les évènements à la Tanière du Loup du 20/07 ont le timing d’un film de « suspense », Singer en surlignant le courage et le sang-froid de von Stauffenberg en s’attardant sur l'imposant dispositif de sécurité du quartier général d’Hitler.
De même, de retour à Berlin, von Stauffenberg est à nouveau celui qui rassure, fédère des conjurés déjà découragés et prêts à tout annuler, lance le bouclage des institutions et l’arrestation des hauts responsables nazis (le ministre de la propagande Goebbels est visible chez Singer). Il est celui qui y croit jusqu’au bout puis accepte son échec de façon presque « chevaleresque »… La fin tragique du putsch est d’ailleurs filmée de façon similaire chez les deux cinéastes.
Un rôle de héros taillé sur mesure pour un Tom Cruise qui monopolise parfois l’écran jusqu’à l’absurde (ah les efforts méritoires d’un « éclopé » borgne pour continuer sa mission suprême, de prendre soin des siens et d’incarner un soldat de haute stature…), jamais habité par le doute ni tenaillé par le dilemme moral qui fit hésiter et paralysa des dizaines d’officiers des forces allemandes. Le putsch révéla l'existence d'une vraie force d'opposition organisée à l'intérieur de l'Allemagne, mais ici, tout semble reposer un peu trop sur les épaules fragiles d'un "super" colonel estropié.
Dommage
Cet article fait partie du dossier Des révoltes qui font date.
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