Au fil des saisons, la vie
Alors qu’avec son opus précédent le réalisateur prenait le parti de suivre le quotidien d’un seul personnage, Another Year s’attarde quant à lui sur un couple de sexagénaires autour desquels gravitent bon nombre de personnages. Au rythme des quatre saisons, Mike Leigh propose quatre chapitres aux teintes et aux ambiances bien spécifiques à chacun d’eux. Autour de gestes banals et quotidiens, les histoires des uns et des autres nourrissent la vie rangée et sans histoire du couple heureux. Les repas, les après-midi au potager, les verres de vin se succèdent comme autant de moments primordiaux, vitaux, qui, métronomes de chaque vie, accompagnent les joies et les peines de chacun.
Fin observateur des réalités ordinaires de tout un chacun, Mike Leigh pose un regard juste et sensible sur la solitude et les vains espoirs qu’elle projette inévitablement. Car en périphérie de ce couple uni, les célibats – souvent forcés – se croisent, et les aspirations des uns ne rencontrent que l’incompréhension ou l'indifférence des autres. Profondément humain, le douzième long métrage de Mike Leigh s’attarde un fois de plus à poser en toute humilité cette simple question : qu’est-ce qu’une vie ? Car, entre les fantasmes, les désirs et les besoins de chacun, où est-il encore possible de poser ses propres exigences ou attentes ? En jouant sur ces espaces et ces lieux de rencontre, le réalisateur trompe sans cesse les apparences : s’il peut être perçu comme volubile et statique, Another Year n’oublie pas d’imprimer un rythme et un mouvement certes discrets, mais constants. Tout le récit se construit d’ailleurs sur des allers-retours incessants : du potager à la maison, du jardin à la cuisine, etc. Le titre suggère lui-même cet élan à la fois aporétique et aliénant. Le film débute et se clôt par ailleurs sur un visage en détresse et en plein questionnement, comme si la vie n’était qu’un perpétuel recommencement, une boucle jamais vraiment bouclée.
Si Another Year est un film sur la solitude, la construction temporelle particulière (ainsi que les personnages présentés) pousse à étendre ce thème à celui de la vieillesse, du temps qui passe inexorablement. Le Britannique nous parle en effet de périodes de la vie où les souvenirs sont plus faciles à évoquer que les perspectives d’avenir. Il s’attarde sur ces visages marqués par cette angoisse permanente du lendemain, sur ces personnages coincés entre l’avoir été et le devenir qui s’envisage avec peine. Malgré un propos très sérieux, le réalisateur n’en oublie pas de parsemer son récit de quelques pointes d’humour bien venues. Loin de n’être que la politesse du désespoir, elles s’insèrent comme autant d’éléments quotidiens tout en dédramatisant quelque peu des situations malaisées.
Comme souvent dans le cinéma de Mike Leigh, la mise en scène, bien que d’une grande maîtrise et précision, tend à s’effacer, à se banaliser afin de rendre le récit encore plus captivant. Seules les – volontaires – ruptures nettes en fin de chapitre peuvent faire croire à un film âpre ou brutal. Mais ces cassures prennent tout leur sens au fur et à mesure que les scènes se succèdent, elles font corps avec le récit et lui permettent de respirer, de se régénérer.
Une fois encore, Mike Leigh signe un film plaisant et fondamentalement humain où chacun pourra retrouver une part de sa propre existence ou, tout du moins, se poser les questions qui ne manqueront certainement pas d’apparaître un jour ou l’autre.