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Pointculture_cms | critique

AUTODITACKER

publié le

Lorsqu’on examine aujourd’hui – avec une bonne quinzaine d’années de recul et, forcément, dans le viseur une partie ultérieure de l’histoire qui n’était pas encore écrite à l’époque – le début du parcours de Mouse On Mars (par exemple, les trois […]

Formé en 1993 entre Cologne et Düsseldorf, avec un pied dans chacune de ces deux villes distantes de 40 km, le duo de Jan St. Werner et Andi Toma va sortir, de 1994 à 1997, ses premiers disques (les trois albums cités ci-dessus et quelques maxis) sur le label Too Pure. Cette structure londonienne est plutôt dévolue à la pop indépendante et est surtout connue pour avoir révélé en 1992 une bouleversante chanteuse de vingt-trois ans : Polly Jean Harvey. Mais par rapport à Mouse On Mars, ce sont plutôt les autres artistes de l’écurie Too Pure qui sont intéressants : Moonshake, Laika, Th’ Faith Healers, Pram et Stereolab. Au-delà des différences les plus évidentes entre ces groupes pop plutôt guitare-basse-batterie(-claviers) et l’instrumentarium électronique de St. Werner et Toma, on remarque cependant assez vite l’existence d’un champ de références partagées. Un imaginaire qui – entre ceux de Jules Verne et de Georges Méliès ou de Lewis Carroll et de la SF des années 1950 – s’enfonce dans les terriers, vers le « centre de la terre » ou, au contraire, s’élève vers les étoiles. Cousinage entre « Elli im Wunderland » (Elli au pays des merveilles) sur Vulvaland, le premier album de Mouse On Mars, et Alice de Carroll dans la version de l’animateur tchèque Jan Svankmajer, grande influence du groupe Pram ; coïncidences et correspondances trop évidentes pour être anodines entre la Souris sur Mars et Laika, la tristement célèbre chienne sacrifiée dans l’espace en 1957. Ou aussi, un même amour d’une certaine pop ouvragée des années 1960 (« Die Seele von Brian Wilson », toujours sur Vulvaland) ou de la Kosmische Musik allemande des années 1970 (Moonshake baptisés d’après une chanson de Can ou la reprise de « Mother Sky » des mêmes Can par les Faith Healers en 1992). La sortie des premiers disques de Mouse On Mars trouble quelque peu les afficionados du label Too Pure, suscitant chez beaucoup d’entre eux un double sentiment : à la fois d’étrangeté (ou de différence) et de familiarité (ou de ressemblance). Un statut à part qui vient aussi du cœur même de leur musique avec ces morceaux qui, sans rentrer dans les canons un peu rabâchés du style électro pop (à savoir des chansons relativement classiques mais utilisant plutôt des boites à rythmes, des synthétiseurs ou d’autres machines électroniques), sont bel et bien à la fois électroniques et pop – mais d’une manière très personnelle et singulière. Si en concerts St. Werner et Toma font très souvent appel à l’ex-batteur reggae germano-congolais Dodo Nkishi pour amener ce dialogue entre hommes et machines sur un autre terrain, même dans leurs versions studio (souvent en duo) on peut se demander à quel point on peut qualifier les morceaux de Mouse on Mars de chansons. La réponse n’est pas claire. Par leurs durées (souvent plus de 6 ou 7 minutes), par leurs structures (superpositions, glissements, répétition et variation) et leur nature le plus souvent instrumentale, on est loin du format classique de la chanson pop de 3 minutes en couplets / refrain. Et pourtant, c’est comme s’il y avait quelque chose d’à la fois plus caché et plus fondamental, comme une sorte d’ADN ayant trait au rapport entre rythmes et mélodie et, plus largement, à cette fausse superficialité des formes d’expression légères et abordables, qui les tire du côté de la chanson.
Des chansons (selon une conception un rien plus classique), il va clairement en être question lors des multiples collaborations entre Mouse On Mars et Stereolab qui ponctuent l’année 1997. Parlé-chanté de Laetitia Sadier (vocaliste de Stereolab) sur le morceau « Schnik Schnak Meltmade » (« le grand soleil / le grand soleil / électrique ») sur l’album Autoditacker et sur trois des quatre plages du maxi Cache-cœur naïf – et, réciproquement, présence de « Jandi » (contraction de Jan et Andi, apparemment utilisée un temps par le duo lui-même pour évoquer leur entité à deux cerveaux et quatre mains) sur l’album Dots and Loops (et en particulier le morceau « Prisoner of Mars ») ainsi que sur le maxi Miss Modular du groupe londonien. Mais, au-delà du chant souvent posé et soyeux de Sadier ou des textures caoutchouteuses, douces et ludiques comme des balles magiques, de certaines rythmiques rebondissantes de Mouse On Mars, on retrouve aussi – à la même époque – des recherches sur d’autres textures sonores, plus granuleuses ou abrasives ou assumant dans leur genèse une part d’erreur ou d’imprédictibilité. On pense bien sûr au duo Microstoria de Jan St. Werner avec Markus Popp (Oval) utilisant notamment le bégaiement de CD défectueux mais aussi, au sein même de Mouse On Mars, la recherche du débordement numérique (data overflow) de leurs interfaces électroniques : « Cela se passe quand il y a trop d’information qui passe par les interfaces. Plus rien n’est exactement synchronisé. Mais, c’est ça le rythme : toujours à côté du point exact, un rien après ou un rien avant et ça donne le groove, le funk » (Entretien avec Rob Young pour The Wire en mai 1997).
De manière aussi assez étonnante – en tout cas pour quelqu’un qui n’écouterait leur musique que sous l’angle de l’évidence et de la facilité – les deux musiciens développent, lorsqu’ils sont interrogés à cette époque, une pensée politique et philosophique assez affûtée et lucide, voire sombre, après avoir notamment été profondément choqués par l’utilisation peu médiatisée de bombes chimiques lors de la guerre civile en Angola en 1996 et par les bombardements de l’OTAN (avec la collaboration du pouvoir social-démocrate allemand) au Kosovo en 1998. Mais ici aussi, une fois encore, chez Mouse On Mars la réalité est dialectique et même dans le sentiment de la catastrophe éminente il y a un germe de quelque chose de positif : « Au plus on est près de la catastrophe, au plus créatif et au plus actif que l’on devient. Je crois que la technologie numérique reste une chose très étrange pour beaucoup de gens et c’est une très bonne chose de réfléchir aux problèmes que cela amène. Mais, par ailleurs, quand le train a été inventé, les gens pensaient que si on dépassait 40 km/h, on allait mourir. Mais, on mourra de toute façon, donc… » (op. cit).

Philippe Delvosalle

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