CRISTAL BALLROOM
Le jeune parisien Babx arrivait en 2006 avec un premier album éponyme d’une étonnante maturité. Sorti sous son propre label Karbaoui (qu’il avait créé deux ans plus tôt avec ses amis musiciens) et poussé sur le marché par Warner, le disque fut encensé par les critiques et remporta plusieurs récompenses : Coup de cœur 2006 de l’Académie Charles-Cros, lauréat du prix Variétés 2006 de la fondation Diane et Lucien Barrière et nomination aux Victoires de la musique 2007. Il va sans dire qu’on guettait la sortie du second opus. Et, disons-le d’emblée, avec Cristal Ballroom, Babx n’a rien perdu de sa grâce. Il réussit même à nous emmener plus loin dans sa galaxie.
Ferré hante toujours la voix grave du jeune homme qui s’en est approprié les intonations et le phrasé. On pense aussi à Jonasz avec qui il partage cette capacité de doter son chant d’une charge céleste pouvant faire perdre pied.
Avec le piano du maestro, guitare électrique, basse, batterie constituent le noyau solide de l’album. Trop curieux pour rester derrière son clavier, Babx rajoute ici de la senza et de la balalaïka, là de la machine à écrire… Seule pause à ce tourbillon d’instruments : l’intime Lady L où sa voix se mélange aux guitares en écho de Marc Ribot.
Certains diront qu’en optant pour une orchestration à l’ancienne (un parti pris courageux, ceci dit !), Babx n’est pas très novateur. C’est qu’il cherche avant tout à faire de la bonne musique et à sortir le meilleur de l’artiste qui est en lui. Et si on laisse la richesse des arrangements nous envahir, on se surprend soudain à danser avec les fantômes des musiques de film d’antan, à soulever les poussières d’un vieux cabaret rock, ou encore à rentrer dans une fanfare délicieusement décadente.
Babx est de la race des grands. Ce qu’il exprime est intemporel, toujours profond. Sa plume cisèle et creuse des chemins ouvertement poétiques. On sent qu’il a traqué les trouvailles, cherché le mot juste, la phrase magique et sacrifié l’inutile. Rien n’est laissé au hasard, tout a sa place. Il nous livre ainsi des textes d’une sophistication digne de la paire Fauque/Bashung, des paroles sensées et sonores comme celles du peintre des mots Gainsbourg.
Tout au long de l’album, les personnages qu’incarne le chanteur semblent possédés tandis que l’artiste, lui, garde tous ses moyens. Le voilà au bord du précipice (« Cristal Ballroom », « Électrochocs Ladyland », « Mourir au Japon », « L’orage ») quand il n’est pas dans les rues d’Islamabad ou de Little Odessa. Et pour ne pas complètement chavirer, il s’accroche au bras de Lady L, sa muse* qu’il nous dévoile rêveuse dans « L rêve d’IL ». Enfin, le temps d’un morceau entêtant scandé dans un style télégraphique, il met le doigt dans l’œil des caméras de surveillance de notre société (« 08h04 »). Pour notre plus grand bien !
On a besoin de ces artistes exigeants qui transcendent la réalité et nous font décoller. Par ses textes aux métaphores évocatrices et sa musique ambitieuse, Babx se situe à des milliards de kilomètres de cette armée de chanteurs actuels qui se contentent de décrire ce que l’on vit. Et puis, nul doute que la démarche est noble. Aucune de ses chansons ne sent le calculé, chacune possède le charme de celles qui s’imposent avec le temps.
Guillaume Duthoit
* Sa muse, c’est la jeune chanteuse L pour laquelle il compose. Premières lettres (EP 6 titres) est paru récemment.