UN CORPS [GAUTIER LE RESSUSCITÉ]
Dans le charnel dépouillé de sensualisme, posé là,
froid, lucide sur le billot d'une existence crispée face à la
certitude impudique de sa consistance éphémère, Bell Œil,
groupe angevin des plus singuliers depuis ces dix dernières années,
dépose à nouveau ses tripes. Un corps à corps, un œil
pour œil. Un jeté cru, viscéral, dans une fulgurance rock
exubérante entre confession intime et autodérision. Un bout de
barbaque lancé comme un pavé dans l'onde noire d'une dualité
irréductible, celle de faire coexister l'esprit et le corps. Un Cri
primal déjà palpé en 2000 où l'âme - la
belle affaire ! - reléguée aux calendes d'une verve
rageuse faisait place à la fascination pour la matière modelée
en creux et en bosses. Cabossé, deuxième opus aux maître-maux,
à l'instrumentation plus radicale, plus violente, révélait
dans des circonvolutions schizophréniques l'obsession lancinante de ne
pouvoir se désengluer. La rupture de ton fut provoquée en 2003
avec Hurle tout , revisite ‘punchante' d'un camarade de misère,
d'un cracheur de mots à la diatribe référentielle pour
plus d'une génération, Léo Ferré. Sans jamais défendre
aucune chapelle musicale, ni courant idéologique, Bell Œil trouve
son propre langage. C'est dans le limon de la chair, dans le kaolin de la poésie,
dans le gras d'une texture musicale hybride entre rock, échappée
jazz, bandas, qu'il joue en intensité. La triade contrebasse (Samuel
Mareil), batterie (Momo), guitare (Thierry Lépicier) pigmentée
d'une clarinette klezmer ou d'un accordéon au souffle épileptique
sert à la fois de support mélodique, d'entité musicale
indépendante et de soutien rythmique à l'écriture organique
de Christophe Bell Œil. Écriture impressionniste, généreuse,
théâtralisée, asphyxiée comme par urgence de ne laisser
aucun blanc sur le calicot tendu de ses émotions écorchées.
Alors, « Comment ça marche un homme ? ».
Premièrement ça tombe; deuxièmement, ça se relève
; ça gueule aime-moi ; ça vocifère, je me
hais ; ça se glisse dans les entrailles de l'autre; ça
mord ; ça s'abandonne; ça s'adonne ; ça s'offre.
Dans la même veine : Éric Lareine, Néry, Louis Ville,
Les Hurleurs et Noir Désir. Incontournable !
(Brigitte Lebleu, Charleroi)