TONNERRE SOUS LES TROPIQUES
« It’s the stupidest idea I’ve ever heard ! »
Telle fut la réaction de Robert Downey Jr. quand Ben Stiller lui proposa le rôle de Kirk Lazarus dans Tonnerre sous les Tropiques. Sans se laisser démonter, l’acteur-réalisateur lui répliqua avec un enthousiasme hors du commun : « Yeah I know ! Isn’t it great ? »
Ce court dialogue résume à merveille cet OVNI cinématographique : irrévérencieux, décalé et à mille lieues des blockbusters habituels, cette franche comédie aurait pourtant pu tourner au vinaigre si Ben Stiller n’avait pas eu l’intelligence de si bien s’entourer puisque, outre son casting impressionnant, le comédien s'est associé à Justin Theroux et Ethan Coen pour l'écriture du scénario.
Le script, pourtant, n'a pas de quoi casser trois pattes à un canard : mise en abyme improbable autour d'un film qui n'est pas près de voir le jour, Tonnerre sous les Tropiques met en scène le tournage chaotique du « plus grand film de guerre de tous les temps » basé sur l'histoire d'un vétéran du Vietnam (Nick Nolte) – histoire interprétée par un casting haut de gamme : Tugg Speedman (Ben Stiller), superstar du film d'action, Jeff Portnoy (Jack Black), grand spécialiste de l'humour pipi-caca et Kirk Lazarus (magnifique Robert Downey Jr.), acteur « méthode » australien multi-oscarisé.
Ces trois fortes personnalités auront décidément bien du mal à cohabiter : entre Speedman qui cherche en vain à sortir du genre qui a fait sa réputation, notamment en interprétant « Simple Jack » (dont les extraits présentés ici ont fortement choqué l'Amérique bien-pensante mais enchanteront tous les adeptes du politiquement incorrect), la toxicomanie de Portnoy et les élucubrations de Lazarus qui, pour les besoins du rôle, a opté pour la coloration inverse de Michael Jackson (paix à son âme) pour être totalement dans la peau d'un soldat afro-américain, c'est le choc des Titans. Ajoutez à ces trois ego surdimensionnés Alpa Chino (Brandon T. Jackson), chanteur de rap ultra-populaire qui fait ses premiers pas dans le septième art, et Kevin Sandusky (Jay Baruchel), seul acteur à avoir lu le script, mais qui semble invisible aux yeux des autres – car trop « normal » – secouez bien, et c'est la pluie de Napalm garantie !
Peinant à venir à bout des caprices de ses acteurs, producteurs (auquel un acteur très connu prête un visage méconnaissable) et autres collègues (avec une tendresse toute particulière pour l'expert en explosifs), le réalisateur Damien Cockburn (Steve Coogan) finit par lâcher son casting en pleine jungle vietnamienne, non sans avoir au préalable truffé le périmètre de caméras cachées. Manque de bol : le périmètre en question se trouve en plein Triangle d'Or, et nos acteurs auront bientôt du fil à retordre avec les narcotrafiquants locaux…
Fabuleux éloge de la loi de Murphy qui pourrait sembler potache, voire franchement barbant sur le papier, Tonnerre sous les Tropiques va pourtant beaucoup plus loin que les apparences, grâce à des acteurs qui se sont visiblement amusés et à une réalisation aux petits oignons : tourné en treize semaines sur l'île hawaïenne de Kauai où Ben Stiller possède une maison, le film ne se contente pas de faire défiler une histoire, aussi improbable soit-elle. Non : l'équipe en profite pour rendre hommage au septième art sous toutes ses formes, par la présentation des coulisses, bien sûr, mais aussi par une multitude de clins d’œil absolument hilarants à des films d'hier et d'aujourd'hui.
Autre particularité : plusieurs acteurs ont défini eux-mêmes leurs personnages, à commencer par Robert Downey Jr. qui vole littéralement la vedette à tous ses collègues. D'ailleurs, son interprétation de l'acteur « méthode » qui ne quitte son rôle à aucun moment, même hors tournage, lui valut d'être nommé au Golden Globe et à l'Oscar du meilleur second rôle masculin en 2009 - les deux distinctions revenant à titre posthume à Heath Ledger pour son Joker dans The Dark Knight.
Alors que l'équipe s'attendait à ce que ce rôle fasse scandale, l'accueil fut des plus chaleureux auprès des communautés afro-américaines, ce qui ne fut pas le cas de « Simple Jack », personnage d’un film éponyme et premier rôle « sérieux » de Tugg Speedman alias Ben Stiller. Suite aux plaintes d'une vingtaine d'associations de soutien aux personnes handicapées, la production dut retirer le site internet créé spécialement pour ce faux film. Cependant, et pour notre plus grand plaisir, « Simple Jack » ne fut pas coupé au montage : ouvertement grotesque, ce personnage se moquait davantage des acteurs jouant les attardés mentaux que des handicapés, et si d'aucuns le trouveront d'un goût douteux, les autres attendront la moindre de ses apparitions avec impatience !
Il convient néanmoins de préciser que ceux qui en prennent le plus pour leur grade sont les professionnels du cinéma, quels qu'ils soient. Du producteur colérique à l'agent séduit par l'appât du gain, de l'acteur héroïnomane au réalisateur complètement dépassé par les événements, tous les clichés sont présents, non sans une certaine élégance : jamais le mauvais goût ne sombre dans la vulgarité, le culot des dialogues n'est jamais insultant (n'en déplaise à certains) et même les situations les plus improbables sont abordées avec une classe folle.
Une chose est sûre : dans la série « Peut-on rire de tout ? », frappe très, très fort !
Catherine Thieron