BEYOND ISTANBUL 2. URBAN SOUNDS OF TURKEY
C’est déjà la troisième compilation réalisée par DJ Ipek Ipekcioglu pour le label Trikont. Comme les précédentes anthologies, elle se concentre sur les relations entre la communauté immigrée turque de Berlin et sa « mère patrie ». Beaucoup de gens, y compris parmi cette même population, attribuent à tort à la musique turque un côté « banlieusards de l’Europe », sans connaître la vivacité des multiples scènes actuelles, notamment celles d’Istanbul. C’est entre autres pour remédier à cette image tout à fait injuste que DJ Ipek organise au club SO36, au cœur du quartier de Kreutzberg, les soirées mensuelles « Gayhane », dans lesquelles elle mélange allègrement techno minimale et electro-pop - turque et allemande -, hip-hop du Moyen-Orient, airs de Bollywood, musique traditionnelle nord-africaine et folk des Balkans. Le but avoué est autant de faire connaître au public allemand les productions actuelles istanbuliotes que d’élargir les horizons de la communauté turque. Le premier épisode de Beyond Istanbul était consacré aux « grooves underground » de Turquie et balayait un spectre allant de la pop anatolienne des années septante à l’acid-jazz des années nonante, une autre anthologie : Import-Export a la turka s’intéressait aux jeunes musiciens turcs de Berlin. Ce nouveau chapitre met en avant la production musicale récente qui s’épanouit depuis les années nonante tant au sein de la seconde génération émigrée en Allemagne qu’aux bords du Bosphore. Les choses ont en effet beaucoup changé de part et d’autre. Au niveau purement musical, tout d’abord, où des styles hybrides de plus en plus nombreux, de plus en plus mixtes, voient le jour. La richesse de l’héritage turc se voit ainsi à la multiplicité des genres, traditionnels et contemporains, que l’on peut croiser aujourd’hui dans les grandes villes turques. L’image de la ville « entre gratte-ciel et minarets » se reflète ainsi dans des catégories panachées aux noms à coucher dehors, tels que Asian-Balkan FolkElektroFusion ou Anatolian Elektro-Dub. Les choses changent également en Allemagne au niveau cette fois de la reconnaissance par le public berlinois de l’apport culturel de la population immigrée. C’est en ce sens que DJ Ipek peut dire qu’elle voit dans ces anthologies un travail personnel sur ses origines, et sur celles des gens de sa génération, à travers des musiques récentes comme au travers de musiques oubliées, et un hommage aux contributions des immigrés au développement de la musique « ici » comme « là-bas ».
Benoit Deuxant