ZANZIBARA 4: BI KIDUDE, LA MÉMOIRE DE LA MUS. ZANZIBARAISE
Épatante musique de Zanzibar, j’y entend comme le « compromis » entre des rythmes indiens (raga ou ghazal), l’accordéon jouant l’harmonium, des voluptés arabes proches des danses du ventre et une nonchalance blues très africaine… C’est surtout le cas dans la musique taarab, musique de fête, de danse, d’amusement. Bi Kidude a fait les beaux jours de club taarab strictement féminin. Son chant est âpre, parfois même presque désabusé, un chant de prêtresse, la voix forte d’une conscience. Elle est aussi spécialiste de styles initiatiques et « éducatif », msondo ou unyago, « danses et chants anciens pour l’initiation des jeunes filles ».
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Christine Lecerf : « Elfriede Jelinek, l’entretien », Seuil, 109 pages
Après le Prix Nobel, un long entretien entre Elfriede Jelinek et Christine Lecerf. Elles se connaissent depuis un certain temps, ce qui donne à l’entretien une certaine profondeur sincère, rien à voir avec le questionnaire de circonstance. Ce sont des éléments intéressants sur ce qui constitue une généalogie littéraire; il y a un regard acéré sur ce qui compose un style, sur ce qui alimente un travail d’écrivain depuis la sphère privée, intime et la sphère sociale, politique. Bien entendu, livre fondamental sur ce que signifie être femme dans le monde littéraire, dans le monde des idées et de l’action, à placer en résonance avec ce qui s’est passé dans la société française autour d’une candidature féminine à la présidence du pays. Extraits :
- « Ce n’est pas parce que les nazis ont été vaincus que tout le monde a été dénazifié d’un seul coup. Cette brutalité se retrouve au niveau du couple, dans la violence de l’homme envers la femme et à l’intérieur de la famille, où la femme se retourne elle-même contre ce qui est plus faible qu’elle, en l’occurrence contre ses enfants. » (Cette brutalité « qui ne peut avoir surgi de nulle part et disparaître à nouveau dans le néant est ce qui constitue le cauchemar des filles dans le film « Promised Land », évoqué plus bas).
- « On dénombre dans la littérature de langue allemande quatre à cinq femmes qui ont réussi à s’imposer, contre cinquante hommes. Et elles sont mortes ! »
- « Il y a déjà quelque chose de sexuel dans le fait de considérer que dès qu’une femme transgresse les frontières dans lesquelles elle est maintenue, c’est qu’elle veut retirer quelque chose à l’homme. L’homme a toujours le sentiment que la femme lui prend quelque chose, alors qu’il lui faudrait simplement partager ce pouvoir avec la femme pour que tout aille mieux. »
- « Les hommes ne peuvent pas comprendre ce que j’écris. Tout simplement parce que le maître ne peut pas comprendre celui qu’il opprime. »
- « Pour moi, la bonne pornographie est une pornographie de la société. Parce que la société est elle-même pornographique. Parce qu’elle a toujours quelque chose à cacher. Et c’est ce que je lui arrache. Je lui arrache ce voile et je montre l’obscène. Le travail obscène des femmes. Celui que personne ne veut voir et que personne ne voit. La façon dont elle s’occupe des enfants, des vieux, des malades. Tous ces gestes, ce travail de l’amour jamais honoré. C’est pour cette raison que j’ai écrit Lust. Je voulais tenter d’écrire une sorte de pornographie sociale. »
(Il faut replacer ces citations dans le corps de l’entretien et de l’œuvre complète de Jelinek pour leur éviter tout aspect « réducteur ».) [retour]
Axel Honneth, « La réification. Petit traité de Théorie critique. », Gallimard, 141 pages, 2007
La réification est ce phénomène qui transforme nos sujets de préoccupation en objets avant de nous assimiler aussi au rang d’objets dans un grand marché. C’est un vaste processus de dépossession, de déshumanisation. Voici un petit traité limpide et utile qui clarifie les idées à ce propos. D’abord, en prenant l’origine de ce concept, du côté de penseurs marxistes comme Lukacs et en démontrant que leur approche était trop caricaturale, trop systématiquement contre le marché. Axel Honneth rappelle que la réalité est plus complexe et analyse néanmoins finement les situations, banales aujourd’hui dans le contexte de marchandisation, où les individus sont poussés sur la pente de la réification : en étant, par exemple, contraints de se conformer aux attentes ou aux clichés, dans des entretiens d’embauche ou dans la recherche de partenaires amoureux et sexuels sur Internet.
La discipline pour éviter la réification, il l’appelle reconnaissance, chez Stiegler c’est le souci de soi et le soin que l’on se donne…
Un petit bouquin utile.
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Romans…
En avril, sous la pression des critiques criant au génie et au livre inespéré, j’ai entamé la brique « Le Tunnel » de William H. Gass (Le Cherche Midi). J’ai calé après une centaine de pages, agacé, mitigé, indécis… Fumisterie ou réel projet ? Le livre n’est pas quelconque, mais je ne parviens pas à avoir une conviction sur le style ! ? Je l’ai mis de côté et depuis je relis essentiellement des livres rangés depuis longtemps dans ma bibliothèque et à propos desquels je culpabilise, n’en gardant que des souvenirs vagues. Tous les soirs, je relis un peu Beckett, jusqu’à présent « Molly », « L’innommable »… Et aussi Claude Simon dont j’ai entamé la lecture à petites doses de ses œuvres éditées en Pléiade. Je mesure combien j’en avais avalé les volumes, il y a deux ans ! Là, je prends la peine de m’égarer dans ses longues phrases, je les relis plusieurs fois pour en épouser le rythme et les chicanes, l’emboîtement des images, pour sortir de leur labyrinthe. Mais au-delà des longues phrases, combien de trouvailles très courtes, pour dire les choses avec une justesse, sonore ou visuelle, comme celle-ci : «… et quelque part du côté de la pompe un bruit de seaux entrechoqués, et le flac clair de l’eau comme une étoffe liquide déchirée… ». La trouvaille est ce « flac clair de l’eau » comparé au déchirement d’une étoffe liquide, un son non pas lumineux mais transparent, limpide et claquant, après les consonances agitées et entrechoquées de la proposition précédente. Et si vous avez déjà puiser de l’eau au puit, vous savez qu’il n’y a pas moyen de le dire mieux ! !
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