GORGO
L'histoire débute tel un récit de Jules Verne, avec explosion
volcanique dans un paysage exotique, bouillonnements mystérieux, bateau
chasseur d'épaves, capitaines courageux, sillages monstrueux, tempête
cyclonique, plongeurs morts de peur... Que se passe-t-il ? La tension est
à son comble, le mystère, insondable. Un village irlandais, aux
pêcheurs frustres qui se refusent à parler anglais, sert de cadre
à la capture d'un bébé monstre, Gorgo (sous l'eau, on dirait
une grosse peluche attendrissante qui dort) destiné à servir d'attraction
dans un cirque londonien. Il échappe ainsi à la vivisection par
un savant du Muséum d'histoires naturelles. Mais attention, sa maman
est dix fois plus grande, plus forte ; elle a les yeux rouges, une mâchoire
pleine de dents pointues et une langue comme un matelas dont on aurait oublié
l'emballage ! Elle se déplace les bras tendus, l'air mante religieuse
et se rue à la recherche de son doudou à écailles jusqu'à
Londres. Les efforts de la marine, de l'armée de terre et de l'aviation
pour la détruire sont vains. C'est la panique. Les gens se ruent dans
le métro qui s'écroule, piétinent la poupée d'une
petite fille et hurlent à corps perdu. Le monstre cligne malicieusement
ses beaux yeux, écrase tout de ses grosses papattes et beugle d'une voix
telle que Tarzan et son cri peuvent aller se rhabiller ! Il réduit
en bouillie les maquettes des plus beaux monuments de Londres; sous ses assauts,
Big Ben s'effondre dans un déluge de flammes... La répétition
des mêmes plans confine à l'expérimental. L'armée
tire à travers tout sans blesser, sans rien détruire, sans tuer
la maman dinosaure : vive elle ! Garants de la biodiversité,
applaudissons ! Enfin, sous le regard mouillé de nos héros,
elle libère Gorgo de sa prison électrique (belle scène
de câbles qui s'écrasent en faisant des étincelles) et retourne
à la mer. Baby end !
Pas de rôle féminin dans le casting, sauf la maman-monstre jouée
par un cascadeur d'un mètre nonante dans une combinaison de caoutchouc.
Le rôle de Gorgo - le nom fait référence aux Gorgones,
monstres grecs ailés au corps de femme et au regard pétrifiant
(moment culturel !) - est interprété par un homme de
la taille d'un jockey. Des hommes partout, sauf... la tempête du début
qui est vraie, filmée dans le port de Dun Laoghaire en Irlande. Le film
fut nominé pour l'Oscar des effets spéciaux. Le réalisateur,
Eugène Lourié, est l'auteur des décors pour La bête
humaine (oeuvre qui l'a profondément marqué), La règle
du jeu , Le fleuve de Jean Renoir; les images sont de Freddie
Young, chef-op sur Lawrence d'Arabie et Docteur Jivago ,
et orchestrées par les effets spéciaux de Tom Howard ( 2001
Odyssée de l'espace, Le villag e des damnés, Quand les
aigles attaquent ...).
Points de repère : King Kong (1933), 20.000 lieues sous les mers
(1954), Godzilla (1954).
(Pierre Coppée, Charleroi)