OBJECT 4
Object 4 réunit Masahiko Okura, Tetuzi Akiyama, Utah Kawasaki. Le projet
implique de mêler instruments de musique et objets usuels. Tubes, tuyaux,
micros, platines sans disque, GSM, saxophone, guitare, synthétiseur.
La démarche n'est pas nouvelle, mais elle installe ici une sorte de volonté
de théorisation qui, de CD en CD, chercherait à faire émerger
une sorte d'alphabet pour ce genre d'expérimentation sonore, de balayer
les possibilités de formalisation, de constituer les bases référentielles
d'un langage. Difficile d'identifier dans l'enregistrement ce qui relève
d'un instrument de musique homologué et d'un objet bruyant environnemental
ou sociétal. (Sauf, par exemple, pour quelqu'un qui connaîtrait
par cœur les travaux solos d'Akiyama et pourrait donc repérer ses
interventions à la guitare). Les pistes sont embrouillées entre
les sources musicales et les causes de bruits. Entre expression et nuisance ?
L'ensemble évoque une usine fantôme. Usine industrielle déglinguée,
usine chimique corrodée, hantée. Usine qui fume, crachote des
vapeurs toxiques, suinte des produits mutagènes. Une usine à défabriquer
le mental. Une machine déraille, un computer cauchemarde. Technologie
qui tombe en ruine. Les ruines ayant une vie post mortem autonome, se recyclant
dans la production de parasites. Fritures sur les lignes. Tôles qu'on
froisse. Zones conflictuelles entre le corps et l'enveloppe. Production de stress.
« Au Japon, comme on le sait, la seule citoyenneté est déjà
celle de l'entreprise, pour laquelle quarante mille cadres mourraient chaque
année d'une forme de stress baptisée karoshi . »
(Serge Latouche, « La Méga-machine »). Une musique
qui capte cette infiltration, cette production anarchique des cellules de karoshi
dans le corps et le cerveau, comment elles s'installent, se greffent,
se reproduisent, élaborent des colonies bruyantes. Et en même temps,
comme beaucoup de musiques dans ce registre, celle-ci donne l'antidote, la critique,
la proposition d'une expression alimentant une résistance contre la prolifération
du stress qui tue…
( Pierre Hemptinne, Charleroi )