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Pointculture_cms | critique

IRONTO SPECIAL

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On l’avoue : on a d’abord connu le trio old time (1) Black Twig Pickers via les traces de leurs apparitions aux côtés du regretté virtuose de la guitare acoustique Jack Rose (1971–2009) : e.a. deux 45t sur le label Great Pop Supplement en 2008 et 2009 […]

 


On l’avoue : on a d’abord connu le trio old time (1) Black Twig Pickers via les traces de leurs apparitions aux côtés du regretté virtuose de la guitare acoustique Jack Rose (1971–2009) : e.a. deux 45t sur le label Great Pop Supplement en 2008 et 2009 et le très bel album Jack Rose and The Black Twig Pickers (Beautiful Happiness, 2009). Plutôt que la rencontre éventuellement un peu « contre-nature » entre un orfèvre, ciseleur d’arpèges complexes, et un trio de musiciens d’appoint lui permettant de rendre sa musique en partie plus rustique et plus terrienne, différemment entrainante et, tout d’un coup, même adaptée à faire vibrer les planchers des pistes de danse rurales du Sud des États-Unis, il faut surtout y voir le signe de retrouvailles, d’une amitié et d’une complicité musicale de longue date. En effet, Mike Gangloff, violoniste-banjoïste-chanteur et leader des « Black Twigs » (contraction du nom complet du groupe, fréquemment utilisé par les musiciens eux-mêmes), a joué de 1993 à 2007 avec Jack Rose dans le groupe Pelt qui, sur ses nombreux albums édités par le label VHF, proposait une musique teintée de psychédélisme, plutôt amplifiée au début puis de plus en plus acoustique, jouant la carte des longues durées et de la mise en place de drones (bourdons) hypnotiques ou méditatifs. À l’articulation entre les décennies 1990 et 2000, sans pour autant mettre fin à l’aventure Pelt, tant Jack Rose que Mike Gangloff mettent en place leurs projets musicaux parallèles : solos de fingerpicking dans la lignée de John Fahey et Robbie Basho pour Rose; collecte / réinterprétation / incarnation de chansons old time au sein des Black Twig Pickers pour Gangloff. L’un comme l’autre sortent leur premier album « hors de la maison mère » en 2002. Une bonne demi-décennie plus tard, hormis les albums de Pelt et leurs disques communs évoqués dans les premières lignes de cet article, Jack Rose, Mike Gangloff et Nathan Bowles (un second membre des Black Twig Pickers et du Spiral Joy Band) se retrouvent sur quatre morceaux de l’album Dr Ragtime & Pals (Beautiful Happiness, 2008) et sur six des dix chansons de l’album posthume Luck in the Valley (Thrill Jockey, 2010).

blacktwigsDeux disques, tous deux sortis en 2008, illustrent bien les différences entre les deux projets de Mike Gangloff. Dauphin Elegies (VHF) est le seizième album de Pelt; mais le premier en trio, sans Jack Rose. Il a été enregistré « à la maison » à Ironto (comté de Montgomery, état de Virginie), sans électricité, entièrement en acoustique. Hobo Handshake (VHF), le quatrième album des Black Twig Pickers a été enregistré dans l’espace public (trottoirs, parkings, jetées, etc.), en « faisant sortir le son de la musique dans le monde, au grand air », en compagnie de nombreux amis et invités. Mais, là où Dauphin Elegies ne propose que quatre plages majoritairement longues (10, 12 et 32 minutes) laissant pas mal de place à l’improvisation et à l’installation lente et progressive de climats évocateurs, Hobo Handshake présente vingt-trois chansons, dont un grand nombre de reprises de morceaux anciens découverts via les disques (p.ex. les compilations Old Originals du label Rounder ou Secret Museum of Mankind de Yazoo) ou, sans intermédiaires, via les visites fréquentes à de nombreux musiciens âgés vivant en Virginie ou dans les états voisins des Appalaches.

On retrouve sur Ironto Special, premier album des Black Twigs pour le label Thrill Jockey en 2010, les trois piliers de leur démarche tels qu’exprimés par Gangloff dans les notes de pochettes de Hobo Handshake : « Sound as time machine / Sound as personal archaeology / Sound as compass » (« Le son comme machine à explorer le temps / Le son comme archéologie personnelle / Le son comme boussole »).

Au sein d’un répertoire de plus de cent-cinquante chansons, jouées par le groupe lors de ses concerts, ont été choisies deux chansons originales et treize reprises (une poignée de morceaux connus comme « Ducks on the Pond » ou « Fire on the Mountain », déjà enregistré par Folkways à la 37th Old Time Fiddlers Convention at Union Groove en 1962, puis mis sous les projecteurs d’une plus grande renommée par sa présence sur la bande originale du film Deliverance et sa reprise par Grateful Dead mais – surtout – de vraies (re)découvertes(2), « à la source », par bouche-à-oreille, apprentissage direct et passage du témoin d’une génération de musiciens à une autre ou – encore – par l’intermédiaire d’enregistrements discographiques).

Très ancrés dans le terreau rural de leur coin (des dix-sept concerts annoncés à ce jour par le groupe d’ici la fin de l’année 2011, quinze se déroulent en Virginie – dont des apparitions à la Dégustation de pommes du Marché fermier de Blackburn ou au Festival de la tomate de Shawsville) et redécouvrant des instruments ou des types de jeu relativement peu utilisés même dans le giron old time (p.ex. les fiddlesticks : une manière de jouer le violon à quatre mains, par deux musiciens, à la fois à l’archet et avec des baguettes de percussion), les Black Twigs sont cependant des musiciens relativement jeunes (env. 40, 35 et 25 ans) et ouverts sur le Monde et d’autres sonorités. Leur rapport à la musique old time n’est marqué ni par la « beaufitude » (le côté souvent kitsch venu se greffer depuis quelques décennies sur la musique country mainstream) ni par la « branchitude » (un certain rapport étroitement saisonnier et fortement fashion à la musique rurale américaine (3)… jusqu’à ce que, six ou dix-huit mois plus tard, une nouvelle mode ne vienne remplacer celle-ci). Mike Gangloff, Nathan Bowles et Isak Howell savent très bien que d’autres musiques existent (leurs autres projets musicaux en apportent en partie la démonstration) mais il y a fort à parier qu’ils joueront encore de la musique old time dans trois ou dans quinze ans. Leur rapport à cette musique paraît sain et sincère. Comme l’écrit Bill Meyer pour Dusted Magazine : « Les Black Twig Pickers font partie d’une communauté pour qui la musique old time n’est pas juste un vieux truc pittoresque mais plutôt une partie du tissu de leur vie de tous les jours; [une communauté constituée à la fois] de praticiens de longue date et de punks non-repentants qui ne se sont pas encore débarrassés de leurs vieux t-shirts des Minutemen ».

Philippe Delvosalle

juillet 2011

 

Pour une introduction à la notion d’Old time music, lire l’article de Benoit Deuxant sur le coffret Bristol Sessions – The Big Bang of Country Music (enr. 1927-1928 – réédit. Bear Family, 2011)

« Nous aimons apprendre des airs plus rares ou plus excentriques que l’on n’entend pas si souvent joués par d’autres musiciens old time de la région » (Mike Gangloff interviewé par le site Awaiting the Flood)

Lire l’article « Indie Rockers Aren’t Playing Americana, They’re Playing Dress-Up » de Justin Farrar pour le « Seattle Weekly ».

 

 

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