POST-BLANK
Un trio de bricoleurs maniant une organologie mutante, croisement de préhistoire sonore et de science-fiction. Harpe, claviers, mélodica, guitare, électronique, voix , no-input mixer , claviola … Retrouver les débuts exaltants d'une technique qui s'invente, balbutie, une technique pataude, plantigrade. Griffue, éméchée, maladroite par style mais aussi pateline, bonasse. Bien que le registre soit différent, l'esprit n'est pas si éloigné de Tom Waits. En plus mal léché. Mais cette manière de biaiser le bien-faire pour balancer des fables sonores improbables taillées au hachoir est bien ce qui caractérise la démarche de Waits. Les finesses sont au-delà de l'abrupt, dans les méandres, les replis, les nuances des tranchés qui saignent. Comme la tendresse râpeuse des bourrus ! Ce parti pris d'un autre rapport à la technique, qui passe par une organologie hybride, a des implications au-delà de la musique. C'est aussi un autre comportement corporel, une autre attitude à l'égard de tout ce qui relève de la vitesse, de la locomotion, et voilà une musique idéale pour exalter les modes de transport alternatifs. Et forcément le vélo. Mais pas le vélo de pointe customisé pour les performances. Non, la vieille bécane qui tangue et bringuebale. Une bécane non actualisée, qui grince et couine, comme ces rapports conflictuels au rêve, à ce qu'on aurait voulu être, qu'on a remisé au placard. Post-Blank est fait de petites plages sonores basées sur les énergies douces, aléatoires, intermittentes, rebelles, inventives qui remettront en selle, durant vos vacances, un imaginaire de cycliste décalé, randonneur occasionnel, pédaleur dans les étoiles. D'abord le corps à corps avec l'équilibre, rétablir un contact charnel avec son point d'équilibre. Pas évident. Fragile. C'est là qu'on rentre dans l'ivresse d'être au bord de la chute. Petites balades rauques qui meublent la tête dans les échappées à haut risque. L'adrénaline de la grande descente à fond de balle avec câbles de freins effilochés. Chanson écorchée pour le speed d'un sprint trash improvisé avant de se rendre compte qu'on n'a plus la condition. Des musiquettes qui chantent le charme de la roue voilée, l'impression de pédaler sur des vagues. Des rengaines champêtres pour traverser les blés qui se balancent mouchetés de coquelicots sang. Des rengaines qui ramènent la mémoire des champs, des marées d'épis… Des mélodies barbares, bancales qui s'éloignent des centres urbains pour redécouvrir les kermesses villageoises de l'été, goguettes provisoires, frêle chapiteau, embryon de fête foraine. Flonflons à l'ancienne. La bécane à remonter le temps. Des jingles de victoires éphémères ou d'asphyxie au sommet d'une côte trop raide, congestion, crampe, écroulement. Prenons le balancement, les déhanchements, les effets de danseuse arythmique qui parsèment ces pièces sonores, et même si elles relèvent chez Blank d'une esthétique pourrie, les parallèles avec la chanson Agostinho de Dick Annegarn sont bien réels. En affinités. Or Annegarn est certainement le chanteur par excellence du vélo, de l'esprit vélo. Et sa chanson Agostinho porte cet art au sommet. En ces temps de vacances où il ne faudra pas oublier de regarder les arrivées du Tour de France (les étapes de montagne), il est indiqué de sélectionner un air de Post-Blank comme générique personnel que vous passerez avant de vous asseoir devant la télé. Mais pédalez vous-même, en amateur. Au grand air. Extirpez du hangar un ancêtre à deux roues, partez sur un bout de chemin improbable, ces chemins oubliés, archétypes de l'école buissonnière. Au mépris de votre condition physique, forcez sur les pédales. Jusqu'à renouer avec cette étrangeté de se sentir hors de soi, 'externalisé' par l'effort, au seuil de ses limites. Juste au point d'essoufflement où cette esthétique « poussive, bancale et ébréchée » de Blank vous conviendra à merveille. On peut en devenir accroc. Et alors, passez à l'étape suivante, point culminant : il est toujours très agréable de retourner une technologie, de la rendre inadaptée, inutilisable, les quatre fers en l'air. Pour un vélo, ce sera roues vers le ciel et tandis que vous récupérerez en picolant une mousse énergétique dans l'herbe, laissez votre petite amie, ramassée au passage dans la fête villageoise, emportée sur votre porte-bagages, s'amuser de ces mécanismes d'équilibriste mis à l'envers, échoués, rendus abstraits, poétiques… Elle prendra plaisir à jouer avec les pédales, chaînes, roues, rayons, sonnettes…