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Pointculture_cms | critique

REDACTED

publié le

Une pièce de plus au dossier de la prétention à la vérité dans le cinéma de fiction. Qu'est ce qui rend moins fictif ce film basé sur des vidéos de marines, que n'importe quel film de fiction affichant à son générique la simple mention « basé sur des […]

Une pièce de plus au dossier de la prétention à la vérité dans le cinéma de fiction. Qu'est ce qui rend moins fictif ce film basé sur des vidéos de marines, que n'importe quel film de fiction affichant à son générique la simple mention « basé sur des faits réels »… ? Qu’est-ce qui donne à ce film plus de crédibilité qu’un autre, abordant le même sujet. Le résultat final ici se révèle très vite être une fiction, avec des incohérences dans les personnages (pourtant déjà fort simplifiés) et des interventions/manipulations assez transparentes de l'auteur dans leurs dialogues… Quel est vraiment le sujet de ce film ?

 

1« Il est bien plus difficile de reconnaître la part de fiction dans la réalité «réelle» que de dénoncer et de démasquer comme fiction ce qui nous apparaît être la réalité. Cela, bien sûr, nous ramène à la vieille idée de Lacan selon laquelle, à la différence des animaux qui peuvent simuler en faisant passer le faux pour le vrai, seuls les hommes peuvent mentir en présentant la vérité sous les traits du mensonge. » Slavoj Zizek, « Bienvenue dans le désert du réel », p.43.

Quel a été le cheminement de Brian De Palma ? A t-il voulu faire un film, puis trouvé son sujet, puis son traitement, ou a t’il voulu traiter la guerre d'Irak (ou la guerre en général ?) ? Ou bien encore : est-il parti du procédé, pour rappel : faire rejouer par des acteurs les scènes, réelles, elles, tournées en caméra digitale et postées sur Internet par les soldats eux-mêmes, « documentant » dans une démarche entre le journalisme et le film de virée entre copains, leurs exploits les plus sanglants, ou leur quotidien le plus banal. Ces vidéos, a priori interdites par le gouvernement américain, ont fait depuis quelques années leur apparition sur le net, que ce soit sur des sites spécialisés ou des sites grand public comme youtube et dailymotion. De Palma prend comme point de départ de son film un événement tragique qui choqua fortement l'opinion publique : le viol par un groupe de soldats (stationnés à un barrage routier à Mahmoudiya, au sud de Bagdad) d'une jeune fille de 14 ans, suivi de son assassinat et du meurtre de sa mère, de son père et de sa sœur de six ans. Si ces atrocités n'ont pas été à l'origine filmées, comme d'autres l'ont été, De Palma a pourtant décidé de l'imaginer, mélangeant ainsi pour la première fois dans son film, la vérité et la fiction. Comme ce mélange va intervenir plusieurs fois dans le film, on ne peut s'empêcher de suspecter la manipulation, une manipulation des faits, de la vérité et au final du spectateur, qui va se faire de plus en plus présente au fil du film. Si celui-ci peut alors prétendre mettre en lumière et dénoncer le pouvoir de l'image et secouer le mythe de la vérité de l'information filmée, il ne peut malgré tout, par une perverse mise en abîme, s'empêcher de sombrer lui-même dans le piège.

On conviendra que la dénonciation de la guerre et de ses atrocités est une action louable et un sujet tout à fait honorable, mais on ne ressent pas ici, au-delà des images chocs et des discours racistes, violents des GI, de remise en question, de critique ni de recul. Filmé au plus près des personnages, de leur quotidien, leur donnant la parole en priorité (malgré une voix off glaciale plaçant froidement le décor), le film fait l'économie de la réflexion, transformant en drame humain, en tragédie grecque, ce qui est le résultat d'un mouvement plus large. En clair, on ne prend que rarement dans le film position quant à l'occupation de l'Irak, quant à la politique militaire US qui a mené ces soldats là. Le sujet ne sort pas de la violence ordinaire, présentée comme inévitable et déjà presque banalisée, d'un film de n'importe quelle autre guerre (De Palma avait lui-même déjà réalisé le même film avec « Outrages » racontant une histoire similaire durant la guerre du Vietnam), voire d'un western parmi les plus crus et les plus… réalistes. Car c'est la violence qui est présentée comme réelle et ce qui y a mené n'est ici qu'effleuré.

Mais en présentant le crime comme un fait divers, pas si différent finalement de ce qui aurait pu se passer dans une autre situation, hors du contexte de la guerre, De Palma passe à côté de son sujet. Le seul lien avec celui-ci est résumé à une improbable réplique du coupable principal, du meneur, lors de son interrogatoire, lorsqu’il s’insurge contre le fait que son crime soit jugé comme un crime odieux, simplement parce qu’il a été réalisé sans ordres, alors que les bombardements américains sur le pays ont fait bien plus de victimes que lui. Outre que ce discours est peu cohérent avec celui du personnage jusque-là, il déboule dans le film comme une pensée de dernière minute, comme si De Palma se souvenait sur le tard du contexte et du décor de son film. Peu crédible donc, et ne ressassant qu’un poncif éculé sur la différence entre les crimes individuels et ceux des états, ce rare moment de recul, ce retour par la petite porte d’une vue d’ensemble, ne sauve pas le propos et n’est qu’une incartade de plus, inutile, au principe de réalisme simulé dans le reste du film.

Si « Redacted » parle tout de même un peu du cas particulier de l'Irak, c'est lorsque De Palma s'attache à mettre en lumière non seulement la bêtise des soldats, mais aussi leur manque de connaissance de la région, leur absence de respect pour la population et ses coutumes (en montrant les séances de fouille corporelle au barrage routier, effectuées par de gros Américains goguenards, y compris sur les femmes musulmanes), et progressivement leur haine des « hajis », ces « connards de nègres » qui ne sont même pas reconnaissants pour la démocratie qu'ils leur apportent. C’est aussi leur croyance en la suprématie de leur langue, l'anglais, qu'ils aboient à la tête des gens comme si c'était une langue mondiale que seuls les plus imbéciles ne pouvaient comprendre, ou encore leur croyance en l'universalité des gestes pseudo-internationaux, faisant « stop » de la main à un barrage, et s'étonnant du résultat.

1Il est dommage de devoir défendre un film qui ne peut le faire lui-même, tellement il est piégé de l'intérieur, dynamité par son dispositif et par ses propres incartades à ce procédé. La solution, pour respecter la vérité et se rapprocher des faits au plus près pour établir une réelle dénonciation, serait de chercher le recul, à l'inverse du film, et de placer la responsabilité plus haut que sur la tête de simples soldats, condamnés comme crétins dès le début du film. Le non-respect de la justice, l'établissement d’une zone de non-droit, la pression mise sur les engagés, leur jeune âge et leur manque de formation et d’informations, l'encouragement à la violence et à la brutalité (confirmée dans les cas de torture, depuis Abu-Ghraib, jusqu'à Guantanamo) découlant des ordres donnés à plus haut niveau sous le couvert et le prétexte de « guerre contre le terrorisme » sont les sujets à côté desquels le film passe, ramenant la situation décrite à un « fait divers » à la limite de confirmer les allégations du haut commandement et de la Maison-Blanche, que ces actes n'étaient que des faits isolés, dus à quelques éléments « rogues ».

La vérité est ailleurs et est connue, des livres comme « Collateral Damage » de Seymour Hersch, pour n’en citer qu’un, ainsi que des infos en grand nombre sont disponibles pour qui veut s'informer, mais pour la majorité du public que cette histoire n'intéresse pas, il faut recourir à d'autres méthodes, comme la fiction, au risque de produire un film choc, mais creux. Le cinéaste s’explique sur son objectif : « La véritable histoire de notre guerre en Irak a été « éditée » par des organes de presse écrite et audiovisuelle grand public ». « Édité », c’est-à-dire censuré, incomplet. Selon lui, les États-Unis n’ont pas encore vu les « vraies » images de la guerre en Irak. Sans ces images, c’est l’autre discours, celui du courage, de la bravoure des troupes, qui domine. Sans elles, il y aura encore des gens aux États-Unis pour croire en la mission pacificatrice des forces d’occupation en Irak et en l’intégrité des hommes en armes. Il lui fallait contrebalancer la vérité officielle par une autre, plus proche de la réalité la plus crue. Le film fait alors appel aux tripes du public et exige de lui une réaction viscérale là où un discours est jugé vaincu d’avance. Prétendant dénoncer la violence d’une part et la pornographie de l’image d’autre part, il sombre avec complaisance dans la présentation brute de la violence et ne se distingue qu’à peine des snuff movies qui l’ont inspiré. On peut se demander à qui s’adresse le film et quel effet il espère avoir sur le public. Ceux intéressés par le sujet seront remués par les images, mais, si la crudité des actes et des paroles ravira les autres, les amateurs de films chocs, ce sera aux dépens d’un quelconque discours.

« La passion pour le réel doit-elle alors être rejetée en tant que telle ? Certainement pas, une fois que l’on souscrit à cette analyse: la seule attitude possible consiste à refuser de mener cette passion jusqu’à son terme afin de « sauver les apparences ». Car le problème de la passion pour le réel, au XXesiècle, n’est pas la passion pour le réel en tant que telle, mais plutôt qu’il s’est agi d’une fausse passion, dont l’impitoyable quête, cette poursuite du réel derrière les apparences, était le stratagème suprême visant précisément à éviter sa rencontre» Slavoj Zizek, «Bienvenue dans le désert du réel », p.49.
BD

 

 

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