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Pointculture_cms | critique

BRISTOL SESSIONS. THE BIG BANG OF COUNTRY MUSIC (THE)

publié le

Héritage américain: une brique CD – rare et précieuse – sur l’histoire old time. Et une héritière pas conventionnelle : la banjoïste Abigail Washburn, nouveau CD, on en raffole.

 

 

 

Hors des États-Unis, l’histoire de la musique country est souvent confondue avec le folklore kitsch qui l’accompagne. Pourtant, rien ne pourrait être plus éloigné des cowboys en vestes à franges que les traditions qui les ont précédés. Avant que le terme de Country Music lui-même ne soit généralisé pour parler de toute musique traditionnelle américaine, il existait une distinction claire entre la musique des différentes régions. La plus ancienne sans doute était celle commune aux états du Sud, ainsi que celle des Appalaches, la chaîne de montagnes qui traverse tout l’Est des USA. À cette époque elle était simplement appelée « Old Time Music », « Old Familiar Tunes » ou « Songs From Dixie », des termes qui soulignent simplement les origines anciennes, archaïques presque, de cette musique, qui trouve bien souvent ses sources dans des traditions européennes depuis longtemps disparues, provenant des îles britanniques, bien sûr, mais aussi d’Allemagne, de France, d’Italie, de Pologne, et de tous les autres pays qui ont participé à l’immigration massive vers le nouveau monde. On parle ainsi souvent de la country comme du « blues des blancs », les deux genres étant restés longtemps assez similaires, tous deux musiques de pauvres, d’opprimés, tous deux chantant la misère et l’espoir. Le blues et la country partageaient de plus les mêmes valeurs : la famille, la religion, la tradition, le monde rural.

carterLorsque les nouvelles technologies d’enregistrement le permirent, quelques collecteurs de musique entreprirent de documenter la musique traditionnelle des États-Unis, dans un but à la fois culturel et commercial. Ces enregistrements rencontraient un certain succès dans les villes, où la nostalgie et le sentimentalisme des chansons old-time connaissaient une certaine popularité. En 1927, un de ces collecteurs-ingénieurs, Ralph S. Peer – qui avait travaillé pour le label Okeh, puis pour Victor, avant de se lancer en free-lance à travers le Sud, de Memphis à Charlotte et de Nashville à Savannah – découvre Bristol, une ville à cheval sur la frontière entre la Virginie et le Tennessee. Il s’y installe dans un studio improvisé au troisième étage d’un bâtiment de location et commence à enregistrer des artistes déjà rencontrés auparavant, et des musiciens confirmés, comme la Carter Family, dont ce sera pourtant le premier disque, puis décide de passer une annonce dans les journaux locaux, insistant sur le caractère « bien payé » des sessions, ce qui dans le Sud rural et pauvre de l’époque fit l’effet d’une bombe et attira à Bristol des dizaines de musiciens, de vocalistes, de formations en tous genres, arrivant de toute la région à pied, en train, à cheval, en bus ou en carriole. Tous ne passèrent pas forcément le stade de l’audition, mais certains parmi eux reçurent ce jour-là leur première chance dans l’industrie musicale, comme ce jeune chanteur inconnu, mais prometteur, Jimmy Rodgers.

jrLes enregistrements dureront en tout une dizaine de jours durant lesquels se succédèrent 19 artistes et groupes différents. Peer engrangera 76 enregistrements historiques, qui sont aujourd’hui considérés comme les bases de la musique country. Remarquablement bien enregistrés techniquement pour l’époque, ils étaient les premiers à couvrir ce répertoire. Une partie des morceaux interprétés étaient d’origine commerciale, des chansons diffusées à la radio ou déjà publiées sur disques, mais une grande partie était soit des airs traditionnels soit des compositions originales dans le style ancien; ainsi 36 des sessions comprenaient du matériel jamais enregistré, des chants religieux, des musiques de danse, des chansons sentimentales, tous de futurs standards du genre. Beaucoup de ces groupes sont « des histoires de famille » : des frères et sœurs, des parents et leurs enfants, qui faisaient de la musique pour eux-mêmes, pour leur communauté, chantant aux grandes occasions en amateurs, mais parfois aussi de manière semi-professionnelle, voire – plus rarement – professionnelle.

Les disques qui sortirent de ces sessions historiques connurent à l’époque un grand succès commercial accompagné d’un succès d’estime qui perdure aujourd’hui. Peer retournera à Bristol l’année suivante pour tenter de rééditer sa pêche miraculeuse, mais avec de moins bons résultats, même si quelques-uns des enregistrements de 1928 deviendront par la suite eux aussi des pierres angulaires de la musique américaine. Rétrospectivement, ces deux sessions seront en effet considérées comme le « big bang de la musique country », et reconnues par la Library of Congress parmi les cinquante enregistrements les plus importants de tous les temps. Elles deviendront les références de base de la country et de l’old-time music, et seront notamment redécouvertes durant le revival folk des années 1950 et 1960, puis à nouveau au tournant des années 2000.

Une génération de musiciens maintient ainsi aujourd’hui cette tradition en vie, tout en la mettant au goût du jour. Un film comme O Brother, Where Art Thou ? des frères Coen n’est sans doute pas étranger au renouveau de popularité de la musique old-time, déclenchant une vague de vocations chez les jeunes des zones urbaines, et une demande de gens et d’écoles pouvant l’enseigner. La documentation accumulée depuis des années et cet intérêt renouvelé du public ont ainsi permis de voir de nouveaux musiciens étudier la tradition en profondeur, plutôt que d’en faire une vague approximation. On peut ainsi les voir poursuivre la tradition, se spécialiser dans des répertoires rares (le dulcimer des Appalaches, les string-bands noirs,  etc.), mais aussi la prolonger sans la trahir, quelles que soient les libertés qu’on prend avec elle.

Benoit Deuxant

 

 

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