BORN TO RUN
Le Boss en pleine fougue mature salue ici le patriarche du folk américain. Pete Seeger, quatre-vingt sept ans, a traversé le siècle en cueillant littéralement tout ce qui s’est chanté tout en alimentant les luttes quotidiennes des petites gens des grandes terres d’Amérique. Ballades, gospels, chants de travail, chants de lutte, spirituals, blues, chansons satiriques: le répertoire des populations blanches et noires n’a pas de secret pour Seeger qui, le cas échéant, ajouta sa pierre à l’édifice. Springsteen connaît cet édifice dont il a souvent distillé quelques éléments indispensables au fil de ses concerts ou de ses enregistrements. Il est de ceux qui saluèrent Woody Guthrie ; il sait qu’il est temps de tirer son chapeau à Seeger et à cet immense répertoire qu’il a gardé en éveil. Alors, Bruce, plus jeune que jamais, s’amuse avec une bande d’excellents musiciens à donner sa version de treize chansons toujours traditionnelles mais toujours d’actualité. Un disque hors du temps pour une chanson vivante parce qu’elle rappelle l’histoire, parce qu’elle hurle les communautés vivant sur le sol américain, parce qu’elle crie qu’il existe une chanson dont le sens ne peut s’altérer. Une chanson secouée de guitares, de banjo, de violon, aspergée de cuivres, assaisonnée de claviers et d’accordéon. Une chanson où transpire le gospel, l’âme du Sud, la rage, l’espoir et le désespoir; mais une chanson qui décline des caractères forts, des histoires peu banales qui ont tissé la grande histoire, celle que banalisent les historiens. Springsteen réussit un coup de maître, un disque qui s’ouvre comme une fenêtre sur le paysage des musiques populaires: ces chansons venues d’Europe, ces hymnes revisités par les Afro Américains, ces ballades invraisemblables et dramatiques… sont là depuis des décennies, enregistrées par autant d’inconnus que d’artistes phares. Ces treize chansons existent déjà sur des dizaines, voire des centaines d’enregistrements, tous disponibles à la Médiathèque, tous intéressants à comparer pour comprendre comment une tradition évolue, comment elle s’achemine vers le répertoire d’un chanteur hyper connu qui n’a qu’une envie: les faire découvrir à son public. Et il y arrive le bougre. Magistralement. Sachez que vous trouverez plus de trois cents versions de John Henry à la Médiathèque, plus de cinquante versions de Shenandoah, plus de soixante versions de We Shall Overcome, plus de cinquante versions de Jesse James, plus de cinquante versions de Jacob’s Ladder…. Et ainsi de suite.
EB