SITUATION
Avec ce « Situation » lestement connoté, le Canadien et résident saisonnier de la ville lumière (à l’instar de Zach Condon de Beirut, il s’apprête à y reposer ses pénates), Ricardo Terfry entend paradoxalement renouer avec la simplicité très relative du hip-hop de ses débuts.
On ne fera pas l’erreur d’attribuer à la pâleur de son teint de petit blanc grandi bien loin des jungles urbaines la causalité première de l’ouverture sans pareille dont témoigne son idiome, abreuvé aux sources les plus improbables. Ce serait faire fi de la nature intrinsèque du hip-hop, grande essoreuse recyclable (et régénératrice) de (toutes) musiques et de (tous) sons et dont les limites se situent davantage dans l’imagination bridée de ses praticiens timorés que du côté de la faisabilité techn(olog)ique. Alors que le bonhomme ait troqué le stetson country de feu Johnny Cash contre un bandana, flanqué une ruade dans le postérieur mou du folk (hop?), se soit laissé aller à un artefact indolore de chanson française (sur son précédent album) et se soit attiré les sympathies d’un nombre toujours croissant de rockers pour un résultat cinématique en diable n’a guère d’importance tant son flow de vieil ours pas si méchant semble capable de tirer son plan dans toutes les situations. Qui d’autre que lui pour détourner le thème cauchemardesque des débutants à la guitare (« Jeux interdits ») sans surjouer la note lacrymale (« The Dutskirts »), comploter une suite sans moustache à l’anthologique « Sabotage » des Beastie Boys et se livrer, le sourire en coin, à l’obligatoire exercice de l’auto-promo (« Intro », « 1957 »), samples de piano et private joke inclus. L’humour pince-sans-rire et une patine instrumentale alliant précision (la frontière échantillonné/joué n’a jamais été aussi floue) et art de la pirouette (flippant « Ho-Boys », taquin « Way Back When ») permettent de faire passer la pilule d’un disque à thème – 1957, une riche année qui de l’Internationale Situationniste à l’éclosion de la Beat Generation, des balbutiements de la guerre froide aux premiers manifestes rock & roll recelait autant d’idées à creuser que de pistes chausse-trapes – pour un tranchant petit bijou du hip-hop d’aujourd’hui.
Yannick Hustache