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Pointculture_cms | critique

MUSIC HOLE

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La piste en terrain accidenté qui nous mène à Camille illustre bien ce paradoxe: moins on en sait, plus on en apprend !

La piste en terrain accidenté qui nous mène à Camille illustre bien ce paradoxe: moins on en sait, plus on en apprend !

L’affaire débute comme une querelle de scientifiques ne sachant, à l’aune de leurs dernières découvertes, où (re)classer telle ou telle espèce dans le complexe ordonnancement du règne animal. Attachante révélation à ses débuts (« Un sac de filles » en 2002), petite sœur francophile et affranchie de Björk trois courtes années plus tard (« Le Fil » en 2005), et enfin vocaliste d’un genre « a priori » nouveau pour le dernier.
La suite se nomme « Music Hole » et ne laisse plus de place à la demi-mesure. Camille est une « chanteuse » aimantée par le vertige et le défi, un modèle type d’artiste à placer au-dessus des sempiternelles querelles de clochers (chant en) français/anglais, une sauvageonne fraîchement versée dans la polyphonie tendance ubiquiste pour les uns, un insupportable cabot soulevant des nuages de poussière pour dissimuler la sidérante vacuité de son entreprise pour les autres.
Sur son troisième disque, Camille ne perd pas ses bonnes habitudes d’escalader les agencements mots/notes de ses chansons par le versant musical. Les paroles sont aussi des musiques - c’est une lapalissade - mais le vieil adage a plus cours du côté anglo-saxon où, pour emprunter une métaphore au jargon linguistique, le « ce qui est exprimé » est intimement plus lié au « comment il est exprimé », que sous les horizons d’une Chanson Française où l’ordre des termes bien connus « paroles et musiques » ne relève pas que du hasard.

Et donc si la Française se sert de sa voix comme d’un instrument, sur « Music Hole », elle pousse la logique un peu plus en avant. Une bonne majorité des motifs sonores du disque sont des (captations de) voix « brutes » (la sienne dans tous ses états, ou d’autres…) ou en finement réarrangées (pareil), mais toujours reconnaissables, agencées comme des essaims bruissants ou encore comme un fourmillement de dialogues furtifs, perçus par bribes depuis un lieu situé à l’extérieur. C’est intriguant et un poil déstabilisant, mais chaque écoute additionnelle apporte sa dose de clarté et donne à ce chaos apparent des petits airs de réseaux complexes densément parcourus en tous sens par d’invisibles forces vives, ou plutôt d’insaisissables forces de vie.
Le substrat musical sur lequel s’articule ce rhizome vocal (simplifié) a été réduit à l’essentiel: des percussions et borborygmes bruités à la bouche, des phénomènes d’agitation samplés (clappements de mains, liquides secoués, prélèvements paysagers…), quelques accords joués le plus souvent en douce, et des trouées silencieuses qui lui assurent une bonne oxygénation autant qu’un renforcement de ses articulations sonores « audibles ». De fait, « Music Hole » se situe à des années-lumière des retraitements entièrement digitalisés chers à Björk (« Medulla ») ou à Barbara Morgernstern, mais continue de faire souffler une brise de fraîcheur sur une Chanson Française facilement assoupie.

La formule fonctionne si bien sur ce disque que les chansons les moins convaincantes sont celles qui se rapprochent le plus du format radiophonique standard (le gospel survolté mais geignard par instant de «Money Note», la seconde partie du conclusif « Sangues Sweet »), quand Camille passe de la béance (hole =trou) à la (sur)exposition Music-Hall) et se heurte à ses limites (« tu ne seras jamais black ma fille ! »). La fille semble l’avoir compris, elle n’a jamais mis les pieds dans une église Évangéliste du Sud des U.S.A. (le demi-réussi « Kfr ») quand la ferveur religieuse des chants et prières rivalise de moiteur avec l’air sursaturé en humidité des lieux et ses feulements de jeune occidentale névrosée ne seront responsables d’aucune vague significative de candidats volontaires à l’exil intérieur telle une Chan Marshall ou une Joanna Newsom. Mais dès qu’elle envoie valdinguer dans les cordes ses complexes linguistiques (l’anglais est majoritaire sur ce disque et le français s’accroche comme il peut) en noyautant une langue qui n’est pas la sienne mais qui est celle d’une bonne part de ses émois musicaux primaux, l’enchantement gagne. Ainsi « The Monk » fait se rencontrer une apprentie chanteuse lyrique et de dignes rejetons putatifs et féminins de l’ange Robert Wyatt. Il n’y a presque aucune parole, seulement un chassé-croisé d’inflexions vocales, mais ce titre ne descend jamais plus bas que le firmament. Quant à « Cats and Dogs », au-delà de son aspect de bestiaire grossier, il laisse entrevoir deux portes de sortie possibles pour la Française: l’une vers un cabaret à la Lisa Minnelli et l’autre sur un bouge à la Tom Waits. À pousser le volume du brouillage linguistique, «Katie’Tea» finit par ressembler à un toast porté au retour de l’espéranto, cette drôle de langue chimère mort-née, censée réconcilier les hommes! Enfin « Waves » réintroduit quelques traits de la mystique païenne et naturiste de Vashti Bunyan dans une construction polyphonique évolutive pour une jeune fille d’aujourd’hui que des questions très actuelles troublent (ça a trait à l’enfant, à l’enfance, au désir d’enfant, c’est brouillé mais ça laisse la porte ouverte à toutes les interprétations…).

Troublant, en effet.

Yannick Hustache

 

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