SAW MILL MAN
Cast King, c’est une voix nourrie à l’alcool et au tabac, une voix qu’aucun producteur ne cautionnerait. Une voix qu’on ne trouve que sur les meilleurs disques, ceux qui se vendent presque à la sauvette, ceux dont on parle par-dessus les frontières, entre amateurs de chansons fortes. C’est une guitare aux accords hachés soutenus de quelques notes sur une gratte électrique; c’est une musique sale, mal rasée, à l’haleine foutue. Une chanson où l’on trébuche sur des scories de blues, où l’on respire des poussières de rock’n’roll et se cogne sur des carcasses de folksongs. C’est l’Amérique de Steinbeck à Kérouac, de Woody Guthrie à Johnny Cash, portée par une chanson qui gratte et qui démange, un rêve brisé, le nez qui s’écrase sur le pare-brise d’un vieux pick-up fatigué des coups de freins intempestifs pour laisser passer les fantômes de l’adversité. L’amour se déglingue, les femmes ont lâché le chanteur, le whisky bon marché l’a rongé, la clope l’a miné. Et il nous chante ça, le bougre, avec sa voix d’outre-tombe et ses six cordes esquintées. Et on entre dans un univers, dans l’envers du décor, le revers de la médaille de l’oncle Sam. On entend une histoire, on devine une dérive, on inspire l’odeur forte du bourbon, on reste accroché à ces petites chansons cabossées parce qu’elles nous en disent plus que ce qu’on entend à longueur de journée et que d’aucuns appellent musique. Cast King chante sans se soucier que ce soit beau ou laid, il chante parce qu’il n’a pas d’autre solution. [retour]
Étienne Bours