« Cézanne » de Sophie Bruneau, dans l’invisible présence d’un peintre
Dans ce huis-clos, la lumière est douce et il semble même que le temps y soit quelquefois suspendu. Une impression renforcée par les murs gris clair, repeints par l’artiste, qui avait veillé à ce que l’œil ne soit pas « excité » par des couleurs trop vives ou par une lumière trop réfléchissante. L'action se concentre en un seul lieu, exploré sous tous les angles. Les seules « escapades » concédées à l’extérieur sont des vues de la montagne Sainte-Victoire, chère à l’artiste, qui apparaît dans toute sa monumentalité comme une source d’inspiration irréfragable.
Ce ne sont pas d’énormes choses qui sont exposées dans cet atelier : des esquisses, des dessins aboutis ou préparatoires, des objets d’inspiration et des vanités (crânes, sculptures, poteries), des tubes de peinture ou des supports (palettes, chevalets, châssis, cadres), quelques meubles, des chapeaux ou un tablier de travail... et des pommes, posées çà et là avec soin par des mains contemporaines – celles des trois gardiennes du lieu – pour rappeler que cette « simple » nature morte a été l’enjeu de recherches picturales supérieures, sur les sphères, les volumes et les couleurs, y compris celles qui s’y reflètent… ce que ne manque pas d’étudier l’œil de Marie-Françoise Plissart, complice de la cinéaste pour ce film, qui ausculte ce lieu dans ses moindres recoins, par fragments. Des prises de vue aux compositions précises, qui prennent le temps nécessaire pour transformer le spectateur en visiteur ; une photographie superbe qui s’impose dès les premiers instants par un jeu d’éclats de lumières, de reflets (miroirs et mises en abyme) et de matérialité.
Les trois guides sont dévouées à ces quelques dizaines de mètres carrés où jadis la création s’exerçait quotidiennement ; elles sont là, attentives aux visiteuses et aux visiteurs, et aux objets (on dépoussière, on nettoie mais pas trop, histoire de ne pas enlever les taches de peinture originelles). Elles veillent, accompagnent et dialoguent. Dans ce modeste endroit, on vient des quatre coins du globe. Leur disponibilité est totale.
Le paradoxe du film tient à la fois dans sa matérialité – les fragments du lieu, les corps des visiteuses et des visiteurs dans leurs va-et-vient ou en attente, perdus dans leurs pensées – en écho aux recherches de l’artiste sur la matérialité picturale, et l’invisible qui s’en dégage ; ce qui émane de toutes ces traces du passé ; la pensée d’un corps créateur dans son dernier lieu de travail, baigné d’une lumière automnale. On ne sait si certains visiteurs ont trouvé « l’esprit » de l’artiste qui arpentait ce lieu – et peut-être le hante aujourd’hui – mais dans ce film superbe et intelligent, ce qui est sûr, c’est qu’il y a de l’humain qui s’émeut, qui pense, qui contemple et qui échange.
Projection unique du film le jeudi 2 décembre à 20h au Caméo Cinéma (Namur) en présence de la réalisatrice.
Projection en avant-première au Cinéma Aventure (Bruxelles) le lundi 20 décembre 2021 à 19h30, en présence de la réalisatrice.
Quatre autres dates de projection sont programmées au Cinéma Aventure (même page que l'annonce de l'avant-première).
Crédits photos : Alter Ego Films
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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