« Clara Sola », -un film de Nathalie Álvarez Mesén
Sommaire
Une enfant de Dieu
Petite, menue, la chevelure noire de jais et rebelle, le regard pénétrant, Clara avance décidée mais d’un pas lent et claudicant ! Elle souffre d’une scoliose dont les effets s’aggravent d’année en année. Mais, selon l’avis de sa mère Fresia, la minuscule exploitation agricole en bord de forêt ne génère pas suffisamment de revenus pour payer une opération de chirurgie qui serait en mesure de la soulager un peu de son fardeau au quotidien. Or des rentrées d’argent, Clara en assure contre son gré. Depuis que sa bigote de mère, qui voit en elle une créature de Dieu ayant hérité de dons de la vierge Marie, et donc du pouvoir de soulager les souffrances des malades et diminués, que Fresia fait venir chez elle ou convie à des séances de guérison collective.
Dans cette région reculée, montagneuse et touffue d’Amérique centrale, le christianisme qui demeure très ancré est assorti de nombreux rituels d’origine païenne, et même de chamanisme. Clara elle-même semble plus proche en esprit de Yuca, une jument blanche qui vit en semi-liberté autour de la maison et d’un gros scarabée verdâtre et brillant qu’elle a installé dans sa chambre, que de Maria, sa nièce qui s’occupe pourtant d’elle avec la tendresse prévenante mais sincère d’une sœur. Or, cette dernière, qui approchant les 15 ans, se prépare déjà à une cérémonie locale traditionnelle préliminaire au mariage appelée « Quinceañera » …
Les obscures lois du désir
Puis arrive Santiago, un jeune homme plutôt doux et prévenant qui fait immédiatement chavirer le cœur de Maria et éveille en Clara et dans tout son corps, un désir charnel jusqu’à la condamné et réprimé au nom de sa « différence », mais avant tout parce que dans ces régions pieuses le sexe, c’est encore le mal ! Une renaissance qui la pousse à dire non et à se rebeller contre sa condition de guérisseuse « sainte » et exploitée.
Pour Clara, sa lutte, mutique mais obstinée, à quarante ans passés, commence par une réappropriation de son propres corps d’adulte et de ses manifestations sexuelles et se double de l’affirmation d’être enfin prise comme une femme autonome, capable de décider de ses propres choix. Alors que son entrejambe est pris de saignement que et son sexe la démange, la seule réponse qu’elle reçoit de sa mère est que « c’est sale » et honteux. Quand elle sollicite qu’on lui couse une robe de la même couleur fabriquée dans les mêmes matières que celle que Fresia assemble pour la « Quinceañera » de Maria, on décide pour elle qu’elle devra se contenter d’un habit frustre au regard de celui de sa nièce, et choisi dans une couleur que Clara n’aime guère. Or cet amour physique et ses visions romantiques ou suggestives qui lui sont refusés, ils sont partout tout autour d’elle. À longueur de télénovelas qui inondent la petite lucarne devant laquelle la famille passe ses soirées, ou même à côté de sa chambre quand elle découvre que Maria couche avec Santiago durant l'absence de Frésia. Clara se verra même priée par sa nièce de garder le secret de leur relation charnelle, alors qu’elle aussi voudrait être prise dans les bras et embrassée par Santiago (ou un autre homme).
Quand Fresia décide de vendre Yuca (qui disparaît dans la jungle toute proche), la colère de Clara monte encore d’un cran…
La beauté et le mystère
Cette première réalisation de Nathalie Álvarez Mesén, Suédoise d’origine costaricienne impressionne. Clara Sola est un film sensible qui ausculte avec une vraie pudeur la mécanique d’un corps désirant qui revendique légitimement sa part de plaisir, d’un être « à part » qui n’en peut plus d’être un symbole religieux à valeur mercantile qui l’instrumentalise, la confine dans un statut d’infériorité et de dépendance, et la réprime en tant que femme. Une quête d’émancipation tardive (Vera est dans la quarantaine) au sein d’une société rurale pauvre, écartelée entre bigoterie (les jeunes filles sont préparées au mariage dès leur plus jeune âge) et reliquat de chamanisme et d’animisme. D’Autant que la prestation de Wendy Chinchilla dont la formation de danseuse a probablement joliment contribué à trouver cette gestuelle si particulière de Clara, entre fragilité et détermination farouche. Elle est aussi, une sorte de figure magique, d’émanation de Nature dans ses liens si particuliers, parfois de type symbiotique avec son environnement direct (elle ressent les secousses d’un tremblement de terre avant qu’elles ne surviennent…), et les créatures qui le compose (Yuca, la jument immaculée, le scarabée…).
Film d’une très grande beauté, minimaliste, mutique et spectaculaire par instant, sensoriel, empreint de mystères premiers et s’aventurant aux limites du cinéma de genre (un incendie final qui convoque le Carrie de Brian De Palma), Clara Sola est un film se poste régulièrement aux bornes floues du visible et de l’invisible. Une forêt (jungle) luxuriante, à la fois proche et séparée des hommes (et un havre pour les animaux), qui semble respirer, bruisser d’une multitude de sons, aussi généreuses dans ses manifestations de félicité esthétique (l’envol des lucioles), que redoutable dans ses colères (pluies intenses, secousses telluriques). Une sorte de réalisme magique que la superbe partition, toute de frémissements de cordes et de sons organiques et électroniques mêlés et filés de Ruben-De-Gheselle souligne encore !
Magique
CLARA SOLA - Nathalie Álvarez Mesén
États-Unis / Allemagne / Belgique / Costa Rica / Suède. 2021- 1h46
Texte: Yannick Hustache
Crédits photos: Cherry Pickers
Agenda des projections :
Sortie en Belgique le 25 mai 2022, distribution Cherry Pickers
Le film est projeté dans la plupart des salles de Belgique.
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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