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Pointculture_cms | critique

UN FRISSON DANS LA NUIT

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Cela tient sans doute au mode majoritaire de narration cinématographique (des scénarios presque toujours basés sur la notion de personnage principal) mais, la plupart des films de fiction abordant la radio le font sous l’angle d’un individualisme […]

Cela tient sans doute au mode majoritaire de narration cinématographique (des scénarios presque toujours basés sur la notion de personnage principal) mais, la plupart des films de fiction abordant la radio le font sous l’angle d’un individualisme assez forcené. En premier lieu, un individualisme plutôt glamour ou triomphant pour les biopics qui évoquent le parcours de grands noms de la radio américaine (Alan Freed dans American Hot Wax ou DJ Wolfman Jack et Howard Stern jouant leurs propres rôles respectivement dans American Graffiti et Private Parts, etc.). Mais aussi, en second lieu et à l’autre bout du spectre, dans des genres tels que le thriller ou le cinéma fantastique, des films mettant plutôt en scène des animateurs de radios locales, dont l’aura ne semble pas dépasser les limites des petites villes provinciales depuis lesquelles ils émettent, et dont la solitude (souvent nocturne) se teinte de blues ou de peur. Voire, soumise aux plus sadiques des assauts scénaristiques, se retrouve lardée de la terreur la plus profonde ! Et ce faisant, ces films touchent à un des mystères fondamentaux de l’expérience radiophoniquevia les rapports ambigus et fluctuants entre animateur et auditeur qui la fondent: distance et proximité, anonymat et identification, parole à vocation collective et écoute individuelle.

mistyIl est amusant de constater que les scénarios des trois films qui vont être ici évoqués introduisent, via la forme radiophonique un peu surannée (mais encore bien vivace) de l’émission de dédicaces, le téléphone comme canal réciproque de la communication et de l’échange. Aux ondes hertziennes qui portent la parole de l’animateur du studio vers l’ensemble de la communautépeut ainsi répondre la transmission électrique de la parole d’un de ses auditeurs par le téléphone, qui permet à une discussion (même lapidaire) et à une interaction de s’installer. Dans Play Misty for Me (1971), le premier long métrage de Clint Eastwood en tant que réalisateur, celui-ci incarne un disc jockey de la radio KRML à Monterey dans la vie duquel une auditrice arrive à s’immiscer petit à petit par la demande répétée de diffusion de la ballade « Misty » d’Errol Garner (un standard de jazz dont existent des dizaines de versions, souvent chantées, par exemple par Nat King Cole et Ella Fitzgerald – et… déjà le brouillard !). Quand cette femme refuse d’accepter le caractère passager de leur flirt et de sortir de l’existence de l’homme de radio et qu’elle se met à le soumettre, ainsi que ses proches, à un harcèlement des plus terrifiants, ses « Play ‘Misty’ for me » à l’autre bout de la ligne téléphonique sont la signature de sa folie et transforment la requête polie en la pire des menaces.

tcm2Au début de Texas Chainsaw Massacre – 2 (1986), suite tardive et grand-guignolesque, par Tobe Hooper lui-même, de Massacre à la tronçonneuse (1973), alors qu’elle passe « Goo Goo Muck » des Cramps, l’animatrice « Stretch » de la radio locale K-OKLA se fait importuner à l’antenne par deux yuppies pas très finauds en virée automobile post-adolescente. Ne réussissant pas à les faire raccrocher, elle se retrouve à enregistrer, sans le vouloir et sans tout de suite bien comprendre (en l’absence d’images) ce qui se passe à l’autre bout de la ligne, leur réduction en charpie par le gang à la tronçonneuse. Plutôt qu’une enquête fine à partir d’une preuve non visuelle mais sonore – comme  Francis Ford Coppola a pu en tourner avec The Conversation (1974) ou Brian De Palma avec Blow Out (1981) – il va s’agir ici, lorsque « Stretch » accepte la demande de l’ancien Lieutenant « Lefty » (Dennis Hopper) qui traque les meurtriers, de rediffuser la cassette du massacre lors d’une de ses prochaines émissions, de transformer la preuve en appât. Ce qui ne manque pas de fonctionner…

fogDans The Fog (1979) de John Carpenter, Stevie Wayne est à la fois la gardienne du phare de Spivey Point et animatrice, sur les ondes de la station KAB logée dans le phare même, de l’émission nocturne « through the witching hour » de minuit à une heure du matin. De par son double rôle social et sa position géographique surplombante, elle est amenée à veiller sur la communauté d’Antonio Bay, le petit port qui s’étend à ses pieds, et sur la mer où certains des habitants partent pêcher. Si, en une heure et demie de film et vingt-cinq heures de temps diégétique, nous assistons à la modification de la voix de la femme de radio (soyeuse, séductrice et superficielle au début; plus rocailleuse, lucide et profonde – quasi prophétique – à la fin), c’est qu’entre-temps le centenaire de la naissance de la petite ville aura réveillé les fantômes de sa fondation immorale et violente. Trois années après la célébration du bicentenaire des États-Unis, une métaphore à petite échelle du génocide sur lequel s’est construit l’ensemble du pays ? En tout cas, un traumatisme dont la prise de conscience rend impossible le fait de continuer à faire de la radio comme auparavant.

Philippe Delvosalle

 

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