« Couleurs de l’incendie », un film de Clovis Cornillac
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Madame est servie
1929, les temps sont rudes pour Madeleine Péricourt (Léa Drucker), unique légataire (son frère est décédé) d’une institution financière d’envergure internationale. L’œuvre d’une vie, celle de son défunt père Marcel qui n’a pas eu/pris le temps de préparer sa fille à sa succession avant sa disparition. Laquelle, veuve, doit au même moment composer avec l’étrange accident de son fils Paul (unique également, qui chute d’une fenêtre) qui laisse l’enfant à demi paralysé et dans un état de déprime sévère. Et pour couronner le tout, elle tombe dans le piège financier tendu par son oncle et député Charles (Péricourt, Olivier Gourmet) et l’ancien conseiller de son mari, Gustave Joubert (Benoît Poelvoorde), qui l’aiguillent sur des investissements dits juteux en Roumanie, alors qu’une crise boursière majeure (celle de 1929) est sur le point de provoquer un effondrement rapide de l’essentiel des cours… dont ceux des actifs de Madeleine, bientôt sur la paille, forcée de vendre ses biens, de se défaire de son personnel de maison et de quitter son « domaine » pour un modeste appartement à Paris.
L’espoir en chantant
Trahie également par Léonce (Alice Isaaz) sa bonne et dame de compagnie qui l’espionna pour le compte de Joubert, Madeleine retrouve un peu d’espoir à l’arrivée (juste avant la crise) de Vladi (Jana Bittnerova), une Polonaise costaude, têtue, engagée pour s’occuper de l’enfant, qui ne parle pas un seul mot de français, mais qui réussit à sortir Paul de sa langueur et de son mutisme en lui faisant écouter les disques de Solange Gallinato (Fanny Ardant), une célèbre chanteuse d’opéra. Celle-ci, touchée au cœur par les superbes lettres du jeune homme, deviendra son amie et confidente. Enfin Madeleine se rapproche de l'ancien chauffeur de famille, Lucien (Dupré, Clovis Cornillac), certes, communiste et débrouillard dans l’âme, mais que les manigances du duo Péricourt oncle /Joubert ont passablement échaudé. Tous deux vont alors établir une sorte de pacte d'alliance et concocter patiemment une revanche savamment murie, planifiée et exécutée.
La vengeance est une choucroute qui se mange froide
C’est que Gustave Joubert, toujours associé à tonton Charles, incarne dans cette France de la crise économique du début des années 1930, une promesse folle de développement industriel et technologique en devenir. L’homme qui a fait sa fortune en abusant de la confiance de son ex-employeur est à la tête d’une entreprise aéronautique qui tente de mettre sur pied le premier moteur turboréacteur au monde, autrement dit, le premier avion à réaction. Dans un contexte politique international qui se tend à nouveau à l’arrivée d’Hitler à la tête du Reich (1933), la confiance placée dans les entreprises de Joubert est grande. Mais malgré les cadences infernales imposées au personnel par son tyrannique patron, la mise au point de sa machine n’en finit pas de tirer sur les délais et la compagnie est bientôt à court de liquidités.
En 1933, Paul est devenu un adolescent dont l’admiration et l’amitié pour Solange n’ont jamais connu d’éclipse jusqu’au moment où la cantatrice lui annonce être l'hôte du nouveau chancelier allemand, Adolf Hitler, qui l'invite à venir chanter devant les dignitaires du parti nazi réunis.
Au revoir là-bas !
Nouvelle adaptation cinéma de l’auteur français à succès Pierre Lemaitre (Au revoir là-haut, adapté en 2017 au cinéma par Albert Dupontel), Couleurs de l'incendie, le livre, paru en 2018 est porté cette fois à l’écran par Clovis Cornillac sur scénario et dialogues écrits par Lemaitre lui-même.
Mais cette fresque bien française inscrite dans une décennie charnière du XXème siècle à la conclusion tragique (1939, début de la Seconde Guerre mondiale), manque singulièrement de souffle et d’ampleur dramatique et semble même par moments emprunter les atours d’une série télévisuelle (en développement ?).
Les performances d'actrices des Léa Drucker et Alice Isaaz (en garce de service qui s’amende sur la fin) ne sont pas en cause, tandis que d’autres (Gourmet, Poelvoorde, Bitternova, les méchants officiers allemands et SS…) cabotinent ou en font des tonnes. Le mignon et décidé petit Paul devient à l’adolescence un jeune homme sans grâce ni charisme. Grimé en Lénine filou mais avec un cœur grand comme ça, Clovis Cornillac est certes, plus compréhensible que d’habitude (il ne mange plus 66% de ses mots), mais sa mise en scène est sans imagination et sa vision de l’époque ne s’éloigne guère de la carte postale sépia colorisée qui vire aux décors d’opérette nazifiée quand il s’agit de montrer l’Allemagne de 1934 !
De même, si la première partie du film– « La chute de la maison Péricourt » – se laisse voir sans déplaisir, la seconde partie, « Vengeance d’une femme blessée » peine à convaincre, tant on a du mal à se persuader que c’est bien (surtout) Madeleine et Lucien qui ont fomenté et mené de bout en bout toutes les étapes minutieusement orchestrées et agencées de cette grande et ultra risquée opération d’intoxication internationale, l'étape finale de leur revanche sur le duo Joubert/Charles. Une étrange association d’un ouvrier et d’une (ex) patronne contre la dictature et les pourris qui les gouvernent, et qui mènent pour leur compte une juteuse entreprise de « déception » (en gros, il s’agit de leurrer l'ennemi) cinq ans avant le début de la guerre ! Et ce, dans une Allemagne (déjà) ultra nazifiée et/ou ce sont des officiers de la SS - qui n’est alors qu’une simple milice de protection attachée à quelques cadres éminents du parti nazi - et non des militaires issus des forces aériennes (la Luftwaffe ) qui gèrent le département d’études d’aéronautiques militaire !
C’est gros, et même avec toute l’aide du sacro-saint principe d'indulgence fictionnelle qu’on accorde la plupart du temps aux films se déroulant dans un passé «si chargé de sens », on y croit qu'à moitié. Enfin, si le destin en forme de pied de nez final de Solange à Hitler et ses sbires surprend avec bonheur, l’explication du « geste » tragique de Paul et de ses conséquences longues en fin de récit sont traitées un peu par-dessus la jambe, avec une sorte de coupable légèreté vengeresse.
Couleurs de l’incendie est en soi un bon petit divertissement familial historique qui doit beaucoup au jeu de (certains) de ses acteurs/ices mais demeure plombé par son incapacité à abandonner une certaine lourdeur stylistique télévisuelle et se laisser porter par la force d’un vrai souffle romanesque cinématographique auquel il aspire pourtant !
Dommage.
Texte : Yannick Hustache
Crédits photos : Athena Films & Cinebel
Agenda des projections
Sortie en Belgique le 6 novembre 2022, distribution Athena Films
Le film est projeté dans la plupart des salles en Belgique francophone.
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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