FLYSCH
Une fois de plus, une musique qui se construit autour des trous d’une
passoire. Ou à partir de sons tamisés qui s’empilent, s’entassent.
Un intervenant qui joue avec le sifflement d’amplis, un autre qui dispose
sur sa guitare des objets divers qui font impact. Une fois de plus du «
n’importe quoi ». Et, comme on dit facilement dès qu’il
s’agit de manières de faire expérimentales, « c’est
toujours la même chose ». Comme si les manières orthodoxes
de faire de la musique n’engendraient pas, elles aussi, des résultats
qui se ressemblent fort.
Jouer avec les ondes, leurs sifflements, errements et ellipses aiguës,
leurs interruptions, leurs saturations, leurs brouillages, c’est jouer
avec l’impalpable qui transmet le son. Jouer à démasquer
cette énergie vibratoire. C’est aussi une étrange musique
aux accents neurobiologiques. Tout en ressemblant aux bruits de machines en
train de manœuvrer dans une gare de triage lointaine, - machines cherchant
le bon aiguillage, avançant, reculant, se heurtant, accrochant des wagons,
les détachant plus loin, glissant sur les rails, grinçant, freinant,
lâchant vapeurs ou grésillements électriques - cela évoque
un certain charroi neuronal, circulation d’informations brutes, connexions,
décrochages, informations qui se perdent dans la nuit, gratuites, ne
menant à rien, d’autres qui font mouche, explosent généreusement,
engendrent un son neuf stable qui perdure avant de retourner au stade brut,
neutre, reprenant une course aléatoire, se chargeant progressivement
d’informations à transmettre, surgissant de partout, par perméabilité,
infiltration… Surtout en provenance de la guitare, juste à côté,
tripes à l’air, cervelle à découvert…
Triturer sa guitare par objets interposés… Ça donne l’impression
d’une guitare ensevelie, enterrée vivante et qui cherche à
se dépêtrer, à secouer ce qui l’étouffe. Les
objets ont-ils des incidences sonores qui leur ressemblent quand ils percutent
ou grattent le manche ? Les objets, silencieux et sonores, créent-ils
des conflits ou des connivences ? Ça donne des amplitudes sonores très
accidentées, larvaires puis véhémentes comme si une grande
nervosité s’emparait du monde tout entier des objets. La guitare,
aussi, joue à cache-cache avec le musicien, tantôt elle découvre
ses cordes, tantôt elle s’engouffre dans des résonances d’établis
déments, se roule dans des enveloppes rêches, bruissantes, pleines
d’allergies.
Cette dynamique aléatoire débouche sur des trouvailles, piège
des sons, des signaux sonores expressifs, des cristallisations de bruits qui
surprennent, impressionnent. Parfois très abstraits, parfois très
concrets. Leurs enchaînements suggèrent. Font penser à…
Stimulent l’imagination. Déclenchent des souvenirs, des ressemblances…
Des sens, des sons s’accolent, bifurquent… Laissant des évocations,
des interrogations… Donnent l'impression de conduire à… De
vouloir s'écraser sur… Des bouts narratifs à géométrie
variable gigotent. Toujours plein de trous, de ratés, de ruptures, d'absences
électriques, mais avec aussi des accélérations et saturations
qui enivrent…
(Pierre Hemptinne, Charleroi)