BROMST
Dan Deacon ne possède pas 1% du glamour du nouveau président américain et cadre totalement avec l’image du beauf’ en vigueur sous toutes les latitudes. Mais lui a déjà fait le boulot qu’on attendait de sa personne : le disque d’electro bien frappée de ce début d’année. Bienvenue chez les branquignols !
Pas facile d’accorder un quelconque crédit artistique à un presque trentenaire (né en 1981) rondouillard, sapé comme un vétéran du mondial de foot devant sa TV en vacances à Benidorm et qui transforme chacune de ses performances scéniques en gigues carnavalesques technoïdes franchement azimutées. Le CV de l’Américain atteste cependant du sérieux de son apprentissage avec des études au Conservatoire de musique de Purchase de New York couronnées d’un diplôme en électroacoustique et M.A.O. (Computer Music Composition), qu’égayent à peine les éternels passages obligés que sont les groupes de copains de circonstance. Deacon a ainsi tenu le tuba dans Langhorne Slim (folk) et brisé une paire de guitares dans d’obscurs combos hardcore. Après une série de plaques parues sous le manteau, le bonhomme est signé sur Carpark Records (Beach House, Kid 606) qui publia en 2007 le foutraque et quelque peu décousu Spider Man Of The Rings. Un disque de tourbillons électroniques dans une mer démontée de sons arrachés à des machines exsangues ou échantillonnés sur toute la palette imaginable des sonorités jouées (ou analogiques), avec le soin maniaque d’un hyperkinétique traversé d’idées nouvelles toutes les deux secondes, et au-dessus desquels plane la silhouette sans cesse changeante d’un halo de chant, tour à tour robotique et infantile, psychotique ou étrangement lyrique.
Mais sur ce Bromst, qui doit être comme son neuvième disque, Deacon arrive enfin à intégrer pleinement le mot concision à sa pratique musicale et à orchestrer un album qui n’est plus une succession de brusques montées en puissance espacées de quelques moments de récupération, mais un album aux paysages variés et dénivelés nombreux, et où des aires de repos ont même été aménagées dans le but d’attirer l’attention sur quelques détails d’importance.
En entrée, « Build Voice » parcourt plus d’un tiers de son timing dans un quasi-silence avant de dérouler une mélodie conquérante sur des stries incurvées de piano et cuivres. « Red F » augure le retour des sonorités terroristes mais qui, sans sa chorale vocodorisée de réplicants de Dan Deacon et ses percussions frappées à bout de bras, souffrirait du syndrome 8 Bits. Le dégradé de clones vocaux et synthés cheap & freak se poursuit sur « Paddling Ghost » qui ressemble à un remix à peine ralenti de « Part & Labor » par Venetian Snares avant de tomber brièvement dans les vapes électroniques et de repartir de plus belle sur une procession d’onomatopées (re)montées sur les ressorts de boucles fofolles (« Snookered »). Mid tempo de toms et chœurs alpestres (le bien nommé « On The Mountains ») constellés d’essaims de clochettes ensuite. Quelqu’un aurait-il soufflé l’idée d’une relecture sonore du Génie des alpages (la BD) à l’oreille de l’Américain ?
Ensuite, tel un ex-sprinter passé coureur de fond, Dan Deacon sait que l’on va plus loin en dosant son rythme et en mesurant ses efforts. « Surprise Stefani » est encore un titre en deux temps, passant spontanément d’un drone aplani à un ping-pong véloce voix en couches/batterie métronomique. Sur le court « Wet Wings », il s’amuse encore à faire se contorsionner un cumulus de chant angélique sur lui-même. La pause terminée, il s’élance au-devant de ses petites mécaniques electro-organiques minutieuses qu’il fait tournoyer comme des toupies (« Woof Woof ») avant de s’affaler sur les touches d’un piano virtuel (« Slow With Horns/Run For Your Life »), et d’imaginer que Terry Riley vient parfois le visiter la nuit (répétitif « Baltihorse »).
Et puis, comme pour faire mentir son titre (« Get Older ») place son plus faible morceau en final, comme une ultime concession à ses exagérations passées. On ne le changera plus !
Yannick Hustache