ANGLES
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Non, vous n’avez pas mal lu, ce duo british fait volontairement des fautes d’orthographe mais Google et ses milliers de sites y retrouveront plus facilement leurs liens ! Oui vous avez bien entendu du hip-hop angliche comme un fish and chips mais drôle comme un remake des Monty Python à la sauce Mike « The Streets » Skinner !
Parce que comique, ce duo aurait pu l’être jusqu’à la caricature, au risque que la blague tourne court et ne fasse plus rire personne. Pour les présentations, Dan Le Sac, c’est le format réduit à la coupe de cheveux informe tendance concours de village de clones d’Elvis qui s’affaire aux machines; et Scoobius Pip, le haricot qui ressemble à un Grandaddy au régime sec et retourné sur les bancs d’école, lequel assure la partie vocale du boulot. Vu le débit, le bourreau du travail n’est pas nécessairement celui à qui on pense! Ils viendraient du même bled mais n’ont décidé de collaborer qu’après s’être retrouvés via MySpace. Ils évitent peu être de cette façon de s’envoyer la vaisselle à la figure mais dénotent avant tout des nouvelles façons de vivre ensemble à l’heure de la blogosphère mondialisée: des contacts et échanges virtuels rapides et facilités avec la terre entière mais un terreau relationnel où les liens « durables », c’est-à-dire requérant quelque investissement personnel et confrontations en chair et en os, se sont drastiquement raréfiés.
Et depuis la crise de fatigue du dernier The Streets, on n’attendait sans trop de conviction, l’un de ces chroniqueurs dont l’Angleterre a le secret. Un trublion flanqué d’un accent à couper au couteau, capable de disséquer le quotidien jusque dans ses interstices les plus tragiquement barbouillés de faux-semblants et de le narrer sans fard, lesté d’une foule de détails croustillants et/ou crus, parfois sordides. La misère, autant sexuelle qu’économique, l’ennui d’une société dopée au travail (de) forc(en)é aussi bien qu’aux dérivatifs les plus invraisemblables, l’ascenseur social en panne même quand le Labour est au pouvoir, Dan Le Sac Vs Scroobius Pip ne nous apprend rien de fondamentalement neuf et fracassant mais il le fait avec un (non) sens(e) de l’humour, mais pas de l’ironie, qui, dans la société britannique du XXIème siècle serait, selon une traduction libre de Boris Vian par Nick Hornby, « l’impolitesse du désespoir ! ».
A la notable différence d’un feu Arab Strap dont la lancinante musique traînait son cafard à l’unisson de son propos, le duo a plutôt choisi de faire un sort à la morosité. « J’irai danser sur vos tombes » aurait à nouveau renchéri un Hornby tombé en plein trip jazzy existentialiste ! Sur la pochette d’« Angles » nos deux pieds nickelés ont été réduits à deux simples têtes homologues de plastique dans un fatras de fleurs, légumes, os faciès, yeux… de la même matière. Pas très sérieux tout ça…
Et puis si le UK hip-hop obtient des chiffres de vente ridicules par rapport à son homologue US et même frenchy, sa nature intrinsèquement bâtarde l’immunise contre les travers ineptes d’un rap américain enfoncé jusqu’au trognon dans la grande recycleuse à clichés. Dans la Perfide Albion, le social vous mord trop les talons et personne ne souscrira une seconde à vos rêves mégalomaniaques d’une vie de luxure au soleil (d’Angleterre ?), entre top bi(t)ches et grosses bagnoles, piscines et salles de sport. Genres dominants, le rock et les musiques électroniques ont laissé de profondes marques et, de Roots Manuva à Dizzee Rascal, des labels Lex (sur lequel DLS Vs SC a publié son premier single) à Big Dada, il ne se trouvera aucun activiste du rap grand-britton pour renier l’influence de l’indie pop et des musiques club. Mais c’est ici qu’« Angles » fait valoir son point de vue. Passés du punk rock au hip-hop de l’ère de la conquête des charts (la première moitié des 90’s avec KRS One, Eric B & Rakim…), le grand barbu et la petite teigne ont su conserver un sens bien terre à terre des choses: « Vous ne placerez aucun musicien, disque ou artiste sur un ridicule piédestal » clament-ils sur le vindicatif « Thou Shalt Always Kill », avant de débiter une longue liste d’icônes musicales (Beatles, Clash, Minor Threat, Radiohead…) ramenés à leur stricte condition de groupe ou artiste par un salvateur et répété « just a band ». Autre entorse volontaire aux logiques du marketing triomphant, la version de leur tube de l’an dernier « Beat That My Heart Skipped » (on en parle ailleurs sur ce site) placé à l’entame du disque bénéficie d’un traitement cracra et frappeur à faire douter quelques possesseurs de coûteuses enceintes de la justesse de leur achat! Puis, sans crier gare, le duo sort les guitares et tripatouille un folk hip-hop à la Hymie’s Basement. («Development») avant une courte escapade en terre américaine pour tester la justesse et la pérennité d'une collaboration Sage Francis/Bonnie 'Prince' Billy. « Rapper's Battle » brodé paradoxalement sur une trame electro, montre de quel bois le débit vocal (flow) de cet ancien bègue (véridique) est fait... Dose One peut aller se repermanenter ! Sur « Fixed » le rythme prend la poudre d'escampette - comme sur l'album de Kid Acne (« Romance Ain't Dead ») - un sample gros comme ça collé aux fesses. Un autre truc qui pourrait leur filer le train pourraient ressembler aux têtes de cafard des indécrottables puristes de Radiohead dont DLS Vs SC s'amuse à remonter le 'Planet Telex' en un méconnaissable « Letter From God To Man » , comme un mécano assemblé sur la base des plans de la boîte d'à-côté !
Mais c'est aussi paradoxalement le talon d'Achille d'« Angles », le trop plein d'assurance de ce hip-hop electro qui ose tout se permettre et tout dire, mais qui chemin faisant en sautillant d'une piste à l'autre (le zarbi et un peu con « Back From Hell ») brouille un peu le message.
Mais, il faut l'avouer, on ne comprend pas toujours ce que disent les gens qui parlent dans leur barbe...
Yannick Hustache