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Pointculture_cms | critique

NOS ANNÉES PIERROT

publié le

Pour beaucoup en France – et, par contre-coup, en Belgique - Daniel Mermet représente la tranche – portion de tarte ou de grille horaire d'un angle particulièrement aigu ; pied dans la porte qui l'empêche de définitivement se refermer – laissée à une […]

Daniel Mermet 'Mes années Pierrot'Pour beaucoup en France – et, par contre-coup, en Belgique - Daniel Mermet représente la tranche – portion de tarte ou de grille horaire d'un angle particulièrement aigu ; pied dans la porte qui l'empêche de définitivement se refermer – laissée à une certaine pensée et sensibilité dissidente (alter-mondialiste) sur les ondes d'une radio nationale française (France Inter). Quand au début de l'été 2006, le nouveau PDG de la chaîne a voulu déplacer son émission de 17h à 15h il a vu s'effondrer sur lui une avalanche de deux cent mille signatures de soutien à "Là-bas si j'y suis"… Ce qui ne l'a d'ailleurs pas empêché de maintenir sa décision initiale – coup de force dont les effets négatifs sur l'audience de l'émission auront été légèrement atténués par les nouvelles possibilités technologiques de web radio et la création du site www.la-bas.org qui archive toutes les émissions depuis 2001. 

Moins de gens savent qu'avant de devenir homme de radio en 1977 avec le programme "Dans la ville de Panamaribo" ("il y a une rue qui monte et ne descend jamais"), Daniel Mermet fut au début des années septante homme à tout faire (écrivain, comédie, dessinateur-affichiste… ) d'une compagnie "bricolo-brechtienne" de théâtre tout terrain: le "Théâtre de la table qui recule" (en argot français, "manger à la table qui recule" signifie "[être forcé à] jeûner"). Au printemps 2001, apprenant la mort de Pierrot, l'un de ses camarades d'alors, avant de partir pour Nantes et l'enterrement de son ami, Mermet se souvient… de mai 68 et des immédiates années "d'après-mai"… "Pour les bâtards que nous étions, des bâtards sociaux relégués dans la banlieue du monde, Mai 68 fut une fête sans pareille. Tout gosse, un jour où l'autre, ensemble ou séparément, nous avions compris ce que nous étions. Le regard d'un maître, l'humiliation d'un père, le type qui vient pour couper l'eau. Oui, nous étions de la broutille en trop, de la chair à chagrin. De la viande, comme disait papa. Ca écorche. Ca rapproche aussi. Ca serre les poings. Et c'est ce Mai, on leur balance des pavés, on leur met le feu, on leur joue les barricades, ils tremblent, ils se terrent, ils envoient leurs chiens. Une poignante allégresse fait vaciller leur citadelle de carton. Voilà qu'une autre vie est possible. Tu vois, Pierrot, on n'est plus seul chacun dans son coin. Nous ne sommes rien, soyons tout. Des vies obscures, asservies, promises au métero, boulot, dodo, soudain s'emparent de la rue et parlent, parlent… Aujourd'hui pour raconter cette histoire, on exhibe d'anciens gauchistes devenus les renégats professionnels. Le sénateur, le patron de presse, le publicitaire, le porte-parole du patronat. Des collabos cravatés et bien nourris avec tout le zèle servile des repentis. Méprisés par leurs maîtres, ils sont les meilleurs militants de la culture d'impuissance qui domine". 

Cette émission, parcourue de musique bien choisie (Charlie Haden Quartet, Higelin et Areski) est sortie sous-forme d'un livre-disque illustré d'un dessin d'époque de Mermet et où l'on croise pêle-mêle Reiser, Bob Dylan, les grévistes de LIP, Georges Perec, Ulrike Meinhof, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Raoul Vaneigem… Ou, encore, le premier tout numéro de "Libération", quand Jean-Paul Sartre pouvait encore dire "Nous refusons de devenir une entreprise commerciale et industrielle". Une autre époque – à la fois si lointaine et si proche… 

Philippe Delvosalle